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lundi 17 février 2014

Des symboles dans la ville : Vučko, la mascotte des Jeux olympiques d'hiver de 1984 à Sarajevo

Il y a tout juste 30 ans, le 7 février 1984, étaient lancés les Jeux olympiques d'hiver de Sarajevo. Avec eux naissaient la mascotte, le loup Vučko. Alors que s'ouvrent les Jeux olympiques d'hiver de Sotchi (voir Kurt Scharr, Ernst Steinicke et Axel Borsdorf, 2012, "Sotchi/Сочи 2014 : des Jeux Olympiques d’hiver entre haute montagne et littoral", Revue de géographie alpine, vol. 100, n°4/2012) pour lesquels nombre de commentateurs et de chercheurs ont insisté sur le grand rôle géopolitique d'un tel méga-événement sportif* et que les manifestations gagnent en ampleur dans les rues sarajéviennes (voir le dossier "Bosnie-Herzégovine : la révolte sociale gagne tout le pays", Le Courrier des Balkans et le suivi minute par minute proposé par les journalistes du Courrier des Balkans depuis Sarajevo et Tuzla), cet anniversaire passe relativement inaperçu. Dans la médiatisation des manifestations en Bosnie-Herzégovine (assez faible dans les médias, au vu d'une actualité internationale très chargée, même si ces événements mériteraient tout de même une grande attention), quelques allusions aux Jeux olympiques de 1984. "Ces manifestations, qui avaient lieu pour la troisième journée d'affilée, sont d'une ampleur sans précédent dans l'ex-république yougoslave qui, il y a trente ans jour pour jour, accueillait les Jeux olympiques d'hiver" ("Bosnie : le siège de la présidence à Sarajevo incendié par des protestataires", Le Monde, 7 février 2014). Au lendemain de cet anniversaire, peu de médias semblent, en France, avoir proposé un article sur les 30 ans des J.O. de Sarajevo, qui, en leur tour, avaient eux aussi montré l'importance géopolitique des méga-événements sportifs ("Sarajevo 1984 : trente ans et une guerre plus tard", Le Monde, 8 février 2014, article mis en ligne dans le dossier "Sotchi 2014"). D'autres médias vont préférer des titres bien racoleurs pour parler des manifestations (tels que Le Républicain Lorrain qui titre "Bosnie, tiers-monde au coeur de l'Europe", 9 février 2014, oubliant le sens même de l'expression "tiers-monde" ; "J.O. Rétro : 30 après, Sarajevo pleure la fraternité perdue", France Ouest, 5 février 2014 ; "Sarajevo : les vestiges des jeux olympiques de 1984", L'Express, 5 février 2014). Entre relatif silence médiatique et racolage de certains titres autour des manifestations, l'occasion ici de rappeler ce qu'ont représenté les Jeux olympiques d'hiver de 1984 à Sarajevo, tant dans l'aménagement urbain que dans la géopolitique mondiale, et leurs poids dans les mémoires et dans la ville aujourd'hui.

* Sans prétendre à l'exhaustivité, voir notamment :
- Yann Roche, "Géopolitique des Jeux olympiques : les enjeux de Sotchi", L'actualité, 29 janvier 2014.
- Alla Lebedeva, "Sotchi, ville olympique", L'actualité, 30 janvier 2014.
- Aurélie Allain, "Jeux de Sotchi : antiterrorisme ou dérive sécuritaire ?", L'actualité, 31 janvier 2014.
- Elisabeth Vallet, "Des Jeux olympiques d'hiver... sous les Tropiques", L'actualité, 3 février 2014.
- Aurélie Allain, "Sotchi : au coeur de la poudrière du Nord-Caucase", L'actualité, 4 février 2014.
- Régis Genté, "J.O. Russie, Poutine, Caucase, Sotchi... Que signifient ces mots ?", entretien réalisé par Pierre Verluise, Diploweb, 6 février 2014.
- Emission : "JO de Sotchi : le monde du sport doit-il se taire ?", Du Grain à moudre, France Culture, 5 septembre 2013.



1984, une date-charnière pour Sarajevo : quelques éléments de contextualisation

Les transformations dans l'aménagement urbain


Ces Jeux olympiques vont clore une période de forte croissance démographique et urbaine pour la ville de Sarajevo : "à partir des années 50 jusqu'en 1984, année des Jeux olympiques d'hiver, Sarajevo voit une explosion urbaine incontrôlée qui multiplia par 9 le nombre d'habitants, 550.000 dans un site très contraignant et inextensible, la vallée de la Miljacka" (Jean-François Daoulas, 2006, "Repenser la ville de Sarajevo : réflexions d'un urbaniste", Oslobodjenje/Le Courrier des Balkans, 3 septembre 2006). Le géographe Milorad Vasović écrit en 1985 un article pour la revue Méditerranée (Milorad Vasović, 1985, "Sarajevo : centre des Jeux olympiques d'hiver 1984", Méditerranée, n°55, n°3/1985, pp. 51-62) dans lequel il décrypte l'impact des implantations sportives dans Sarajevo : il précise à la fois le fort potentiel de la ville de Sarajevo (climat favorable, petite distance entre la ville et les terrains sportifs ainsi que les montagnes, capacités de logements importantes...) qui ont été décisives dans la décision de tenir des J.O. à Sarajevo. Un site et une situation favorables qui vont transformer l'agglomération sarajévienne, dans la mesure où les installations olympiques sont particulièrement "spatiophages" :

  • la montagne de Trebević a été aménagée pour la piste de bobsleigh et la luge,
  • la montagne de Bjelašnica pour les disciplines alpines pour les hommes (descentes alpines, slalom spécial, slalom géant),
  • la montagne d'Igman pour le biathlon (Veliko polje), les tremplins de ski (Malo polje) et le ski alpin,
  • la montagne de Jahorina pour les disciplines alpines pour les femmes.
(Milorad Vasović, 1985, "Sarajevo : centre des Jeux olympiques d'hiver 1984", Méditerranée, n°55, n°3/1985, pp. 51-62).


Schéma perspectif des sites olympiques et des extensions urbaines
Source : 
Milorad Vasović, 1985, "Sarajevo : centre des Jeux olympiques d'hiver 1984",
Méditerranée, n°55, n°3/1985, p
. 59.

En plus des installations sportives à proprement parler, l'agglomération sarajévienne a été transformée pour accueillir non seulement les sportifs, mais aussi les journalistes, les hommes politiques et personnalités, ainsi que les touristes. Si Sarajevo possède avant ces Jeux olympiques une capacité hôtelière importante, celle-ci va être démultipliée par le méga-événement sportif. "En mobilisant toutes ses forces économiques, culturelles, touristiques et sportives pour l'organisation des XIVèmes Jeux olympiques d'hiver, Sarajevo a investi environ 160 millions de dollars dans la construction des installations sportives susmentionnées, du Village olympique complémentaire sur Igman avec 500 lits et de la colonie de Dobrinja avec 8 400 lits. Ces importantes capacités de logement sont renforcées des 12 hôtels de Sarajevo avec 2 675 lits, dont cinq sont des hôtels de catégorie A avec 1 026 lits" (Milorad Vasović, 1985, "Sarajevo : centre des Jeux olympiques d'hiver 1984", Méditerranée, n°55, n°3/1985, p. 60). Les méga-événements sportifs s'accompagnent ainsi d'une rénovation de certains quartiers, d'aménagements spécifiques aux besoins des activités touristiques (tout particulièrement en termes de capacités d'accueil en logement et en restauration).

Si les Jeux olympiques et l'ensemble des méga-événements sportifs (tels que les Coupes du monde de football) actuels et à venir sont particulièrement marqués par des conflits sociaux, par des conflits fonciers et par des conflits d'aménagement (voir par exemple les cas des J.O. de Londres 2012 notamment autour de la rénovation du quartier de King's Cross-St Pancras, de la Coupe du monde de football de 2010 en Afrique du Sud notamment autour du renforcement des ségrégations urbaines par "l'effacement" du quartier de Betrams à Johannesburg, par la spéculation immobilière à Durban ou par les aménagements touristiques au Cap, ou encore les conflits à Rio de Janeiro entre politique de "reconquête" des favelas et géographie des conflits), les transformations et rénovations urbaines à Sarajevo pour les Jeux olympiques permettent à la ville "d'atténuer les retombées de [la] crise" économique qui apparaît dans les années 1970 (Amaël Cattaruzza, 2001, "Sarajevo, capitale incertaine", Balkanologie, vol. 5, n°1-2/2001), notamment dans la périphérie sarajévienne. "De grands travaux de rénovation et de restructuration urbaine y sont alors accomplis". Grâce à ses aménagements et investissements, "la croissance de la ville se maintient péniblement" pendant la décennie suivante, puis "elle est brutalement stoppée en avril 1992, avec le début du siège(Amaël Cattaruzza, 2001, "Sarajevo, capitale incertaine", Balkanologie, vol. 5, n°1-2/2001).


Le quartier de Dobrinja, "quartier olympique", est aménagé par ces Jeux olympiques, notamment par la construction du village olympique. Au recensement de 1991, Dobrinja est le plus grand quartier de l'agglomération sarajévienne (plus de 40.000 habitants). Le stade olympique, quant à lui, construit en 1947 et réaménagé pour les Jeux olympiques, est situé dans le quartier de Koševo (voir également le billet "Les espaces et les spatialités de la mémoire (2) : Le stade olympique de Sarajevo, cospatialité de deux mémoires", 7 août 2012). Ces deux territoires du sport vont profondément affecter l'urbanisation et l'urbanisme sarajéviens. 



Les jeux olympiques d'hiver de Sarajevo 1984 tels que présentés par les médias français :
représentations autour du toponyme "Sarajevo" et de l'organisation des J.O.
Source : Reportage Antenne 2, publié dans "Autour des J.O. d'Hiver", Ina, 12 février 2014.





Les enjeux géopolitiques des J.O. d'hiver de 1984 à Sarajevo



Alors que des Jeux olympiques plus récents ont pu mettre en avant le développement durable (les J.O. d'hiver de Vancouver de 2010 avaient, par exemple, mis l'accent sur le développement durable, et sont aujourd'hui désignés comme "un modèle en matière de respect de l'environnement et d'engagement écologique dès la phase de planification" par le Comité international olympique qui propose même un dossier pédagogique intitulé Vancouver 2010 : objectif développement durable) et au moment de très grandes contestations en Russie contre le mal-développement et le non-respect de l'environnement pour les Jeux olympiques de Sotchi 2014, Milorad Vasović note que "les habitants de Sarajevo ont fourni des efforts immenses pour la protection et la mise en valeur de l'environnement. En aucune ville de la Yougoslavie n'ont été exécutés tant de travaux publics importants en vue de résoudre les problèmes écologiques, avec autant d'abnégation de la part de ses habitants. (...) Par la dernière souscription publique, votée le 20 décembre 1981, les citoyens se sont déclarés prêts à contribuer sur la base de 2,5 % de leurs revenus pour l'achèvement des systèmes susmentionnés [épuration de l'air, protection des eaux superficielles et souterraines, construction des réseaux d'adduction d'eau, canalisation et élimination des déchets solides], mais aussi les installations destinées aux XIVèmes Jeux olympiques d'hiver (halles de glace dans la salle de "Skenderija", équipements d'infrastructure sur les montagnes d'Igman et de Bjelašnica, etc.). De cette façon, Sarajevo faisait des efforts pour recevoir ses hôtes dans un milieu écologique, aussi bon et aussi sain que possible, dont bénéficieront à perpétuité ses habitants(Milorad Vasović, 1985, "Sarajevo : centre des Jeux olympiques d'hiver 1984", Méditerranée, n°55, n°3/1985, pp. 60-61). Par-delà les enjeux environnementaux que Milorad Vasović attribue à l'attachement des Sarajéviens à "de nombreuses traditions séculaires de leur ville et, avant tout, la sollicitude pour le milieu éconologique" (op. cit., p. 61), cet enjeu est avant tout politique et symbolique. Il faut rappeler que ces Jeux olympiques étaient pour la Yougoslavie un méga-événement qui transformait Sarajevo en espace-vitrine, dans un contexte international encore marqué par la Guerre froide (bien avant que l'on imagine le déclin de l'URSS et la fin du monde bipolaire).

Alors que se tiennent les Jeux olympiques d'hiver à Sarajevo en 1984 et malgré les affirmations du CNO (ancètre du CIO) de la neutralité du sport et de facto des J.O., d'importants mouvements de boycott accompagnent ces méga-événements sportifs qui ont, alors une dimension géopolitique très importante :
  • les Jeux olympiques d'été de 1976, en Nouvelle-Zélande, sont boycottés par 27 pays africains en opposition à la politique d'apartheid menée en Afrique du Sud (la non-exclusion de ce pays comme participant aux J.O. a été le déclencheur de ce boycott),
  • les Jeux olympiques d'été de 1980, accueillis à Moscou (qui avaient emporté la sélection face à la candidature de Los Angeles), ont été boycottés par 62 pays, dont les athlètes étatsuniens (voir un reportage sur la décision du président Jimmy Carter sur le site de l'INA),
  • à leur tour, les Jeux olympiques d'été de Los Angeles sont boycottés par les pays du bloc communiste.
C'est dans ce contexte de Jeux olympiques dans lesquels se jouent des (en)jeux géopolitiques marqués par le contexte d'un monde bipolaire que se tiendront les Jeux olympiques d'hiver de Sarajevo. Ces J.O. ont lieu dans une ville de la Yougoslavie qui, sous l'égide de Tito, a été un Etat fondateur du mouvement des non-alignés (Tito se fâche avec Staline dès 1948, et la Yougoslavie titiste, si elle est un régime et une économie de type communistes, ne se rapprochera pas du "grand frère" soviétique).

Les villes d'accueil des Jeux olympiques entre 1896 et 2016
Source : "Le sport dans la mondialisation", Questions internationales, n°44, juillet/août 2010.


L'importance géopolitique de ces Jeux olympiques, grand projet de Tito (qui décédera 2 ans après la décision du Comité olympique international et 4 ans avant l'ouverture des Jeux), n'est pas négligeable, à l'échelle locale comme à l'échelle internationale. A l'échelle de la Yougoslavie, ces J.O. ont été accueilli avec le plus grand enthousiasme : "à partir du 18 mai 1978, Sarajevo vit dans une véritable euphorie olympique, fait unique dans l'histoire longue et fort dramatique de la ville, depuis le jour où la 80ème séance du Comité olympique international, à Athènes a décidé que Sarajevo serait hôte des XIVèmes Jeux olympiques d'hiver pour la période du 7 au 19 février 1984" (Milorad Vasović, 1985, "Sarajevo : centre des Jeux olympiques d'hiver 1984", Méditerranée, n°55, n°3/1985, pp. 51-62) (voir également le témoignage du journaliste bosnien Nikola Bilic, vidéo : "Sarajevo : les vestiges des jeux olympiques de 1984", L'Express, 5 février 2014).

De plus, "de Berlin (1936) à Pékin (2008), en passant par Montréal (1976), Moscou (1980), Sarajevo, Los Angeles (1984), Sidney (2000) et Salt Lake City (2002), les tableaux d'ouverture destinés à un public de plus en plus mondialisé ont été à chaque fois des opportunités de relecture du passé national pour le projeter dans une modernité fantasmée du rôle du pays organisateur" (Gérald Arboit, 2009, "Les Jeux olympiques, enjeux des relations internationales", Annuaire Français de Relations Internationales, vol. 10, p. 4). 49 nations seront présentes à ces Jeux olympiques, et pendant leur déroulement, les médias du monde entier vont non seulement relayer les compétitions sportives, mais aussi produire des reportages sur Sarajevo. La ville devient alors un espace médiatique éphémère, le temps du déroulement des Jeux.

La cérémonie d'ouverture des J.O. d'hiver de Sarajevo en 1984
Source : site du C.I.O.



Vučko, la mascotte des J.O. de Sarajevo : des traces dans la ville, de 1984 à 2014

Comme toutes les mascottes des Jeux olympiques, Vučko était très présent dans la ville de Sarajevo en 1984. Sa présence tant dans les territoires olympiques (notamment pendant les cérémonies d'ouverture et de clôture des J.O. d'hiver de 1984) que dans toute l'agglomération sarajévienne (et tout particulièrement dans les boutiques mettant en vente des souvenirs) participait du méga-événement sportif.

Vučko lors de la cérémonie de clôture des J.O de Sarajevo 1984
Source : site du C.I.O.

Aujourd'hui, pour le 30e anniversaire de ces Jeux olympiques, des émissions spéciales ont été préparées, mettant en scène Vučko dans le rôle de l'animateur/narrateur. Au-delà de la mise en scène médiatique, la présence de la mascotte des Jeux olympiques d'hiver de 1984 participe de la mise en mémoire de ces Jeux olympiques comme événement dans l'histoire de la ville.

Une série d'émissions spéciales à l'occasion du 30e anniversaire des Jeux olympiques
d'hiver de Sarajevo de 1984, donnant la parole à la mascotte Vučko

Vučko à nouveau parmi les habitants de Sarajevo
Source : "
Vučko ponovo među Sarajlijama", BH News, 30 janvier 2014.

Par-delà cette médiatisation du 30e anniversaire des J.O. d'hiver de 1984, on retrouve, dans le quotidien, de nombreux souvenirs à l'effigie de Vučko. Les boutiques sarajéviennes vendent ainsi des tasses, des timbres de collection, des vêtements ou encore des peluches de la mascotte des Jeux, témoignant d'un attachement à ce qu'elle représentait : le temps d'une médiatisation d'une Sarajevo unie dans sa diversité. Si les boutiques de souvenirs dans d'autres villes olympiques vendent pendant quelques années les mascottes de leurs Jeux olympiques, la présence de Vučko dans Sarajevo, 30 ans après le déroulement des Jeux, est particulièrement répandue, la mascotte étant par là devenue bien plus que le seul symbole d'un méga-événement sportif (ce qu'elle reste généralement dans d'autres villes olympiques).

Une tasse en vente dans les boutiques de Sarajevo, 30 ans après les J.O. d'hiver de 1984
Source : Photographie de Marie Verdier,
publiée dans "Quand Sarajevo était le centre du monde", La Croix, 13 août 2013.

La mascotte Vučko, toujours en vente à Sarajevo
Source : Photographie de Marie Verdier,
publiée dans "Quand Sarajevo était le centre du monde", La Croix, 13 août 2013.


Plus importantes encore sont les traces de Vučko dans la ville de Sarajevo. Si de nombreuses installations olympiques tombent en ruines (elles sont systématiquement montrées dans des articles ou reportages sur les sites abandonnés), la mascotte reste très présente sur les murs des installations sportives, témoin d'une double mémoire. Les photographies les plus célèbres montrant les traces de Vučko (sur des panneaux, pancartes ou peintures murales) le montrent ainsi criblé de balles. Les installations olympiques sont ainsi des marqueurs paysagers de la reconstruction comme injustice spatiale. Si les photographies de la ville-centre (la vieille ville ottomane et le quartier austro-hongrois qui constituent le quartier Centar) montrent une Sarajevo reconstruite, où les traces de la guerre ont majoritairement disparu (des monuments tels que la Bibliothèque nationale et universitaire de Bosnie-Herzégovine sont restés ou restent encore des cicatrices dans ce "paysage de paix"), les périphéries sarajéviennes laissent place à un autre paysage. Plus éloignées des espaces-vitrines (ceux donnés à voir aux médias, aux investisseurs et aux touristes) de la ville-centre, les périphéries urbaines n'ont pu bénéficier du même effort financier dans la phase de reconstruction. La profonde crise économique (liée notamment au très lourd coût financier des Accords de Dayton qui prévoient un très grand nombre de personnes dans les ministères et la haute fonction publique pour respecter la diversité et l'égalité de la représentation des trois communautés constitutives, puis renforcée par la crise économique mondiale dès 2008, notamment par l'essoufflement des aides internationales et humanitaires) a produit une une injustice spatiale, qui se lit dans le paysage urbain en ségréguant les espaces-vitrines très bénéficiaires de la reconstruction, et les périphéries urbaines délaissées. Les traces des impacts de balles ou d'obus sont très présentes, aujourd'hui encore, et la présence de Vučko en est devenue le témoin dans le paysage.

Les installations olympiques de Sarajevo, un marqueur spatial à la double symbolique :
entre la gloire des Jeux olympiques d'hiver de 1984 et les traces de destruction de la guerre
Source : Photographie de Milomir Kovasevic,
publiée dans "Sarajevo 1984 : trente ans et une guerre plus tard", Le Monde, 8 février 2013.

Source : Photographie de Dado Ruvic,
publiée dans "A Sarajevo, voyage dans les ruines des JO", Paris Match, 29 octobre 2013.


Mais les traces de la présence de Vučko ne sont pas seulement associée à la mémoire de la guerre et aux paysages de destruction. L'attachement à cette mascotte traduit dans le paysage ce qui est souvent appelé la "Yougonostalgie", voire la "Titonostalgie". Contrairement aux médias extérieurs (on s'appuie ici principalement sur des ressources en français et en anglais parmi les grands médias consultés) qui mobilisent Vučko pour évoquer la guerre et la destruction des infrastructures olympiques, les médias bosniens le mobilisent pour évoquer un vivre-ensemble. Dans les médias extérieurs, Vučko est évoqué dans le passé, tandis qu'il apparaît aussi, de manière régulière, pour sa présence très actuelle dans les médias bosniens. La présence de Vučko dans la ville n'est pas seulement un marqueur de l'efficacité géographique de la guerre par le contraste entre mémoire des Jeux olympiques et mémoire de la destruction. Par-delà ce contraste, Vučko propose aussi les traces d'une mémoire heureuse dans la ville, et symbolise la mémoire du komsiluk (le "bon voisinage") de l'avant-guerre.

Vučko sur les murs d'un immeuble dans le quartier de Dobrinja
Source : "Oronula 'olimpijska' zgrada na Dobrinji, Vučko pamti bolja vremena", Radio Sarajevo, 28 juin 2013.


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