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dimanche 24 novembre 2013

Syrie, cartographie d'une guerre : représenter l'espace des conflits

Réaliser des cartes d'une guerre actuelle, au cours de laquelle les "lignes de front" entre les adversaires sont particulièrement mouvantes, pose tout d'abord la question de l'accessibilité et de la fiabilité des données. Mais aussi (et surtout) celle des choix cartographiques. Une carte thématique n'est pas neutre (à ce propos, voir le billet "La carte-discours. Quelques éléments de réflexion"), elle est une représentation de l'espace (et non une présentation). Les choix du cartographe et/ou de son commanditaire construisent une représentation de l'espace, mais n'en rendent qu'une partie, celle qui correspond à leur démonstration. De plus, le lecteur de la carte possède ses propres filtres de représentation : il perçoit et interprète la carte. Si la cartographie thématique francophone a été très marquée par la sémiologie graphique proposée par Jacques Bertin, la profusion de cartes sur Internet, dont on ne connaît pas toujours la source (date et auteur notamment), et encore moins les intentionnalités (quelle objectivité ?), tend à permettre une surenchère de la part d'interprétation de l'auteur et/ou commanditaire de la carte, tout en se parant des atours de l'objectivité cartographique (tout du moins d'une perception, erronée, de la carte qui dirait le "vrai", telle une présentation des réalités spatiales, alors qu'elle est et reste une représentation des réalités spatiales).

Lors de la réalisation de cartes sur l'état actuel des différents adversaires dans la guerre en Syrie pour le site Noria, ces questions d'accessibilité des données (quelle objectivité et quelle méthodologie pour les sources qui servent de référents aux cartes que l'on veut produire) et de choix cartographiques se sont révélées cruciales. Au moment de la conception et de la réalisation de ces cartes "Mapping competing strategies in Syrian conflict", le géographe Fabrice Balanche publiait son article "L'insurrection syrienne et la guerre des cartes" (Orient XXI, 24 octobre 2013), interrogeant et confrontant différentes représentations cartographiques de la guerre en Syrie. On se propose, dans ce billet, de confronter les réalisations cartographiques existantes et les difficultés de conception/réalisation qui existent dans la production cartographique sur la guerre en Syrie. Dans le cas des conflits armés, ces représentations peuvent être particulièrement empreintes de subjectivité et d'idéologies spatiales, et se révèlent non pas toujours des outils d'information et d'explication de la guerre en tant que tels, mais avant tout un matériau pour la compréhension des conflits de représentation qui se surajoutent au conflit armé.



Cartographier des acteurs en guerre :
la question des sources et des cartes déjà existantes


Dans un premier temps, se pose la question des sources, de leur disponibilité et de leur objectivité. La méthodologie des sources chiffrées n'est pas toujours mise à disposition : dans la majeure partie des cas, les ressources sur le conflit syrien donnent des données statistiques sans explication de la méthodologie, souvent contradictoires d'une source à l'autre. Comme le rappelle Fabrice Balanche dans son article "L'insurrection syrienne et la guerre des cartes", une grande partie des cartes a été produite pour servir un discours sur la (non-)intervention en Syrie "à la suite des attaques chimiques du 21 août dans la banlieue de Damas. Les experts se sont alors succédés dans les médias, cartes à l'appui, pour « expliquer » cette décision". Certaines cartes proposées par les différents médias présentent l'avantage d'être explicites quant au discours qu'elles veulent promouvoir : Fabrice Balanche explique ainsi que "sur Fox news, la carte justifie une intervention américaine en Syrie"

La Syrie divisée
D'après "Elizabeth O'Bagy: On The Front Lines of Syria's Civil War", The Wall Street Journal, 30 août 2013.

"Les défenseurs de l'intervention militaire tentèrent donc de convaincre que l'insurrection était suffisamment puissante et organisée pour accompagner au sol l'offensive aérienne des Occidentaux. Mais ils devaient aussi convaincre les opinions que cette insurrection était dominée par des modérés et que les djihadistes étaient marginaux. Encore chercheuse à l'époque à l'Insitute for the Study of War, Elizabeth O'Baggy donna sur la chaîne américaine Fox News une lecture des faits particulièrement scandaleuse. La carte qu'elle présentait à l'écran (ci-dessus), pour appuyer sa démonstration, trahissait une totale mauvaise foi ou une incompétence totale.
On remarque tout d'abord que les zones contrôlées par les « rebelles » et le « régime » épousent parfaitement les limites provinciales, ce qui laisse penser que ce sont des provinces entières avec leur administration qui sont passées sous le contrôle de l’insurrection. Pour Elizabeth O’Bagy, les rebelles sont divisés en deux groupes : « modérés » et « extrémistes » : sans doute classe-t-elle parmi les « extrémistes » le Front Al-Nosra et l’État islamique d’Irak et du Levant, qui sont effectivement présents dans ces régions, mais qu’en est-il des groupes salafistes appartenant au Front islamique de Syrie (FIS) ? Certes, ils ne sont pas affiliés officiellement à Al-Qaida et ne prônent qu’un djihad national, mais l’imposition de la charia et l’exclusion des minorités font intégralement partie de leur programme. Quant au Front islamique de libération de la Syrie (FILS), qui attire irrésistiblement les bataillons de l’Armée syrienne libre (ASL) depuis sa création à l’automne 2012, il est certes plus modéré que le FIS et Al-Nosra, mais son programme repose clairement sur la promotion de l’islam politique. (...)Plutôt que d’ouvrir des débats sans fin sur la définition de « modéré » ou d’« extrémiste » au sein des forces de l’insurrection, revenons plutôt à la carte que propose cette experte nord-américaine. Les milices kurdes du Parti de l’union démocratique (PYD) y sont intégrées dans le groupe des rebelles. Il est vrai que les zones kurdes échappent à l’armée syrienne, laquelle s’est retirée de ces zones au profit du PYD, qui peut être considéré comme un allié stratégique du régime de Bachar Al-Assad. Les affrontements réguliers entre les milices kurdes et les insurgés arabes (Alep, Ras el-Aïn, Ain el-Arab, etc.) depuis plus d’un an prouvent qu’il faut distinguer les Kurdes des « rebelles », ce qu’Elizabeth O’Bagy ne fait pas. Quant aux conclusions que l’on peut tirer de l’occupation du terrain par les rebelles « modérés » et « extrémistes », elles sont tout simplement fantaisistes. Les extrémistes occuperaient ainsi toute la province de Raqqa et seraient également très présents à la frontière turque et à la frontière irakienne. Mais il suffit de superposer une carte de la répartition de la population syrienne par localité (figure dans l'article de Fabrice Balanche) pour constater que l’emprise territoriale des rebelles « modérés » concerne en réalité des zones très peu peuplées. Tout comme celles que tient la contre-insurrection (l’armée syrienne) du reste. Elizabeth O’Bagy souhaitait prouver que les États-Unis pouvaient s’appuyer sur une insurrection modérée et par conséquent qu’il ne fallait pas craindre les islamistes radicaux en Syrie. Mais son analyse fut rapidement contredite par l’IHS, société d’expertise britannique, qui démontra que les radicaux (FIS, Al-Nosra et État islamique d’Irak et du Levant) étaient au contraire majoritaires parmi l’insurrection, ce qui rejoint les conclusions d’Aron Lund, chercheur suédois spécialisé dans ce domaine et du représentant de l’ONU à Damas qui affirmait, interrogé par Georges Malbrunot, que 58 % des combattants insurgés étaient des salafistes."
La carte n'est pas neutre : même lorsqu'elle est la traduction d'une analyse qui tend vers l'objectivité, elle reste une représentation des réalités spatiales, et non une présentation. Dans le cas ci-dessus, le poids du discours politique dans la production de la carte est particulièrement éloquent. L'article de Fabrice Balanche analyse, par la suite, d'autres cartes, qui proposent une analyse plus nuancée, dans laquelle la complexité de la guerre en Syrie est mise en avant, notamment en distinguant un nombre d'acteurs plus important que la carte d'Elizabeth O'Bagy réduisant la situation à de grandes alliances entre groupes "modérés" d'une part et groupes "radicaux" d'autre part.

La division de la Syrie
Source : Syria Needs project.
Les principaux groupes insurgés
Source : The Independant.
Le détail des zones d'oppositions et gouvernementale
Source : Yallasourya.

Ces cartes sont à la fois le produit :
  • de convictions scientifiques et/ou politiques : la carte en tant que REprésentation des réalités spatiales n'est pas neutre, mais elle est un discours sur l'espace,
  • de l'accessibilité aux sources et des choix opérés autour des sources parfois contradictoires quant à la présence locale de certains forces armées,
  • de choix cartographiques (légende, couleurs, types de figurés/aplats, éléments (non-)représentés...).


Essai cartographique :
les cartes produites pour Noria


Premier choix qui a guidé la réalisation des cartes pour Noria, celles des sources. Dans ce cas précis, ces cartes se sont appuyées sur le travail de terrain mené par Adam Baczko, Gilles Dorronsoro et Arthur Quesnay en Syrie et à la frontière turcosyrienne en août et septembre 2013. Ces cartes reflètent donc l'analyse de leur expérimentation sur le terrain et de leur propre analyse. Elles ont été produites pour figurer dans un rapport que ces trois chercheurs ont rédigé, et s'intègrent donc dans une volonté de représenter sur la carte une analyse scientifique. La place du terrain est importante dans la réalisation de ces cartes : les tracés de la présence des différents acteurs en armes en Syrie se sont basés sur les dessins et les tracés de ces trois chercheurs, et sur leur relecture et leurs corrections attentives. La carte n'est donc pas celle d'un média, d'un acteur politique, mais bien celle de chercheurs engagés sur le terrain. Certains tracés ont tout de même le défaut d'une approximation pour certaines zones, que nous avons essayé la moins grande possible (les traits englobant parfois quelques kilomètres de "trop" ou de "moins" que la réalité). Ces deux cartes ont été réalisées avec de très nombreuses corrections concernant les tracés de chacun des acteurs en armes, afin d'être le plus précis possibles.

Cette difficulté passée (ou plus précisément acceptée), restent de nombreuses questions sur la production de la carte :
  • le choix des éléments représentés sur la carte,
  • le choix des couleurs, des types de figurés et d'aplats,

Nous avions pour objectif initial de ne faire qu'une seule carte représentant la présence des positions :
  • du régime,
  • des "rebelles",
  • des milices kurdes,
  • des zones contestées (entre régie et "rebelles")
  • des groupes islamistes.
Mais nous voulions également dépasser certaines impasses cartographiques qui se retrouvaient dans toutes les cartes que nous avions vu passer. La principale est la non-représentation des zones peu densément peuplées. Celles-ci apparaissent soit "hors légende" (le plus souvent par de grands aplats blancs), soit (plus gênant) comme des "zones inhabitées".

Radiographie de la rébellion syrienne
Source : Le Temps.

Puisqu'il ne s'agissait pas de proposer une nouvelle carte réalisée à partir d'une première carte, mais bien une carte originale dans ses données d'une part (à partir des enquêtes empiriques d'Adam Baczko, Gilles Dorronsoro et Arthur Quesnay), et dans sa représentation cartographique d'autre part (pour que la carte soit le reflet de l'analyse de ces trois chercheurs), cette question des territoires peu densément peuplés (il est totalement excessif de parler de territoires "inhabités", le nomadisme par exemple étant une manière d'habiter l'espace) était importante, et nous avons fait le choix de la mettre en avant. Si certains espaces syriens sont clairement peu densément peuplés, sont-ils pour autant "hors guerre" ? Si leur contrôle territorial n'est pas le fruit d'un quadrillage et d'une présence militaires aussi denses que dans les espaces fortement peuplés, échappent-ils pour autant à tout contrôle par l'un ou l'autre des acteurs en armes ? La question du peuplement dans le conflit syrien a, le plus souvent, été mise en exergue autour de la répartition des communautés et de leur poids démographique (voir, par exemple, Youssef Courbage, 2012, "Ce que la démographie nous dit du conflit syrien", Slate, 15 octobre 2012), mais bien peu par le poids de la densité de population.

L'importance des villes dans la géographie des combats en Syrie est fondamentale pour comprendre l'émergence des zones contestées (entre régime et "rebelles"), qui sont des zones stratégiques de première importance dans la géographie du contrôle territorial par les forces du régime et les forces "rebelles". Superposer la carte de la densité de la population et la carte du contrôle territorial est nécessaire pour comprendre l'impact du contrôle territorial de chacun des acteurs en armes : "il suffit de superposer une carte de la répartition de la population syrienne (carte ci-dessous) par localité (carte ci-dessous) pour constater que l’emprise territoriale des rebelles « modérés » concerne en réalité des zones très peu peuplées. Tout comme celles que tient la contre-insurrection (l’armée syrienne) du reste (Fabrice Balanche, 2013, op. cit.).

La répartition de la population syrienne
Source : Fabrice Balanche, 2013, "Cartographie de la crise syrienne", site du Gremmo.

Pour aller plus loin dans la représentation cartographique du conflit syrien, et pour ne pas proposer aux lecteurs de savoir par eux-mêmes se reporter à la carte du peuplement et de savoir confronter deux cartes, nous avons donc opté pour une carte mettant en valeur les territoires syriens en fonction de leur densité de peuplement.

Se faisant, nous nous sommes confrontés à une impasse : trop de figurés et d'aplats apparaissaient si nous voulions sur une même carte représenter à la fois les différents acteurs en armes et le poids des densités de population dans le contrôle effectif par chacun de ces acteurs. Dès lors, le "choix" de faire deux cartes s'est imposé :

  • une première carte représentant, à l'échelle de la Syrie, le contrôle territorial des trois acteurs en armes : le régime, les "rebelles" et les miliciens kurdes,
  • une seconde carte focalisée sur le Nord de la Syrie (puisque seul concerné) représentant le contrôle territorial diffus de l'ISIL (Islamic State of Iraq and the Levant)
Nous avons séparé ces différents acteurs en fonction de deux critères :
  • La première carte représente le cas des acteurs en armes qui ont un contrôle territorial total (ou qui cherchent à l'obtenir) sur des territoires entiers : cette carte représente donc des acteurs qui ont une logique d'implantation territoriale. En effet, leur stratégie armée peut être qualifiée de "stratégie territoriale" dans la mesure où ils cherchent ce contrôle et l'extension de ce contrôle par le contrôle de zones entières.
  • La seconde carte représente le cas d'un acteur en armes qui a une stratégie armée très différente : sa stratégie ne peut être qualifiée de "territoriale", dans la mesure où sa présence est plus diffuse, et qu'elle reflète davantage une appropriation armée qui reflète une stratégie de "point par point". L'ISIL s'approprie donc des "lieux-verrous", et non pas des territoires. Sur cette carte, nous avons choisi tout de même de représenter les territoires appropriés par les miliciens kurdes, puisque ce sont ces territoires qui structurent la présence de l'ISIL, par effet de concurrence dans le processus d'appropriation de l'espace à l'échelle locale. La présence des miliciens kurdes est représentée, dans cette seconde carte, en tant que l'un des facteurs d'explication de la répartition de la présence de l'ISIL.
Si nous avons séparé ces deux types d'acteurs en deux cartes, nous avons tout de même fait le choix d'une légende commune. Les figurés et les aplats communs aux deux cartes sont de même couleur sur les deux (par exemple, le vert pour les miliciens kurdes), et aucune couleur n'est utilisée pour deux sens différents d'une carte à l'autre.

L'importance des axes structurant le territoire syrien (axes majeurs de circulation routière et autoroutière, et Euphrate) à la fois dans les logiques de peuplement (voir plus haut la carte de Fabrice Balanche sur la répartition de la population syrienne) et sur les processus de conquête territoriale dans la guerre en Syrie nous a fait choisir de renoncer aux hachurés pour représenter les zones contestées (qui auraient pu être représentées par un hachuré de deux couleurs : la couleur des positions du régime et celle des positions des "rebelles") pour des raisons de lisibilité de la carte : des hachurés auraient estompé l'importance de ces axes structurants.

Dès lors, le recours aux aplats établi, nous avons dû procéder au choix des couleurs. Nous avons d'abord effectuer ce choix sur la deuxième carte, celle représentant la stratégie "point par point" de l'ISIL, acteur représenté par des dégradés de rouge/orangés (le dégradé permettant de mettre en valeur l'intensité du contrôle), confronté au vert des miliciens kurdes (couleur souvent utilisée pour représenter les groupes kurdes dans les cartes anglo-saxonnes, que nous avons choisi ici pour son fort contraste avec le dégradé de rouge/orangés). Pour les acteurs en armes à représenter en plus dans la première carte (régime, "rebelles", mais aussi zones disputées entre régime et "rebelles"), le vert et le rouge/orange étaient donc exclus, puisqu'il s'agissait d'avoir un langage cartographique cohérent d'une carte à l'autre. Nous avons donc opté pour deux couleurs primaires pour les zones contrôlées exclusivement par un acteur : le rose pour le régime (couleur qui a certainement étonné plus d'un des lecteurs de la carte, nous nous en doutons !), et le bleu pour les "rebelles", ce qui permettait de représenter les zones disputées et contestées par le violet (fusion de ces deux couleurs), tout en mettant en scène, par un dégradé de couleur, la question de la densité du peuplement dans les espaces contrôlés. Apparaît alors un point important : les zones disputées sont des zones densément contrôlées, la géographie du peuplement impactant directement la géographie des combats en Syrie.

Légende de la carte "Syria disunited: Regime and Rebels military positions (october 2013)"
Source : Bénédicte Tratnjek, "Mapping competing strategies in the Syrian Conflict", Noria, 5 novembre 2013.

Légende de la carte "The strategy of ISIL: controlling the Northern Border (october 2013)"
Source : Bénédicte Tratnjek, "Mapping competing strategies in the Syrian Conflict", Noria, 5 novembre 2013.


Cette légende établie, nous avons donc "appliqué" sur un fond de cartes "vierge" les données empiriques d'Adam Bazcko, Gilles Dorronsoro et Arthur Quesnay. Nous avons choisi volontairement de ne pas dessiner ces cartes à partir de cartes déjà publiées, pour que les tracés soient le reflet de ces enquêtes empiriques menées à l'été 2013.

Syria disunited: Regime and Rebels military positions (october 2013)
Source : Bénédicte Tratnjek, "Mapping competing strategies in the Syrian Conflict", Noria, 5 novembre 2013.

The strategy of ISIL: controlling the Northern Border (october 2013)
Source : Bénédicte Tratnjek, "Mapping competing strategies in the Syrian Conflict", Noria, 5 novembre 2013.


Sources des cartes : Bénédicte Tratnjek, 2013, "Mapping competing strategies in the Syrian Conflict", Noria, 5 novembre 2013.
--> Voir également les éléments explicatifs d'Adam Baczko publiés avec les cartes sur le site de Noria.




De l'importance d'expliquer les choix cartographiques


Les géographes et cartographes ont rarement la "place" pour expliquer leurs choix cartographiques. Le blog s'avère être un espace virtuel propice pour engager la discussion sur la non-neutralité de la carte (même pour celles qui tendent à l'objectivité). Ce billet a pour objectif, à partir de cartes réalisées sur la guerre en Syrie, de montrer l'importance de prendre en compte, pour comprendre une carte, les intentions et les filtres de représentation du cartographe et/ou de ses commanditaires. On le répète, la carte est un construit qui REprésente certaines réalités spatiales. Reste un filtre de représentation : celui du lecteur, qui reçoit la carte, et qui (surtout s'il ne dispose pas d'explications sur la méthodologie et les choix cartographiques) interprète cette carte.

Prenons l'exemple de la carte proposée par The Economist et réalisée (comme le montrent les sources) à partir de notre carte publiée sur Noria. Cette carte montre que l'un des points que nous cherchions à mettre en avant a été "lu" dans notre carte : l'importance de la densité de population pour comprendre le poids relatif de chacune des aires de contrôle. La carte de The Economist met en effet en avant la question des fortes/faibles densités pour les zones contrôlées par le régime et par les "anti-régime". Le journal, ne représentant pas les implantations de l'ISIL a choisi de représenter les aires contrôlées par le régime en dégradé de rouge (là où nous avions choisi un rose "pétant" pour qu'il ne soit pas confondu avec les figurés et aplats utilisés dans la seconde carte), le bleu étant conservé pour les "rebelles" et le vert pour les miliciens kurdes. Là, on peut observer une concordance entre ce que nous avions pensé dans la carte et la lecture qui en a été faite. Par contre, les zones contestées (entre régime et "rebelles") ont été représentées en jaune : il semble qu'ici l'esthétique l'ait emporté, là où nous avions volontairement choisi le violet comme "fusion" des deux couleurs représentant les aires contrôlées par le régime (rose) et par les rebelles (bleu), le violet choisi étant justement la couleur produite par "l'empilement" de ces deux couleurs primaires.

Cette carte est, aussi, une simplification (plutôt réussie) de notre carte, qui propose une légende plus complexe : elle ne représente pas certains éléments explicatifs de cette géographie des combats, comme l'importance des axes structurants (axes majeurs de circulation routière et autoroutière et Euphrate) qui joue autant dans la géographie du peuplement que dans la géographie des combats. Les tracés des différentes zones sont précisément les nôtres, sans modification. C'est donc principalement la simplification de la légende (les éléments de la partie "The Syrian Territory" n'apparaissant presque pas dans la carte de The Economist, tout comme un figuré particulièrement important dans l'analyse d'Adam Baczko, Gilles Dorronsoro et Arthur Quesnay : celui des postes-frontières encore ouverts aux mains de l'insurrection syrienne à la frontière turque - les postes-frontières fermés n'ont pas été représentés dans notre carte, après des hésitations, pour ne pas la surcharger d'informations et afin qu'elle reste lisible) et le changement du rose au rouge (nous nous attendions à ce que cette couleur surprenne) qui semblent avoir motivé la réalisation d'une carte strictement identique à la nôtre quant aux tracés (et donc aux données), là où aurait pu être mise en ligne la nôtre directement. La densité de la légende est un élément important dans la réalisation et la réception d'une carte, une légende trop dense (c'est-à-dire contenant trop d'informations) pouvant "perdre" le lecteur. La carte de The Economist peut donc être perçue comme une carte se servant de la nôtre pour proposer une langage cartographique plus "épuré" à des fins de simplification, tout en étant un témoignage d'un des apports de notre carte : celui visant à mettre en avant l'importance de confronter géographie du peuplement et géographie des combats.

La carte de The Economist réalisée à partir de la carte de Noria
Source : "Still no hint of a compromise", The Economist, 9 novembre 2013.



A propos de la sémiologie graphique et de ses rapports avec la géographie et la cartographie :

A propos de la carte thématique :

A propos de la carte au service du pouvoir et de la géographie des conflits :

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