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dimanche 29 janvier 2012

Déplacés de guerre en Côte d'Ivoire : les conséquences de la guerre de 2011

Le site Internal displacement monitoring centre (IDMC) a mis en ligne des cartes sur la répartition des populations déplacées en Côte d'Ivoire, qui permettent de visualiser l'évolution de la répartition des populations déplacées en Côte d'Ivoire en 2011. Ces différentes cartes ont servi de point de départ à ce billet : ces cartes permettent à la fois de comprendre les conséquences des affrontements armés entre les troupes loyales à Laurent Gbagbo et les troupes loyales à Alassane Ouattara aux lendemains du second tour des élections présidentielles de fin 2010 où les deux candidats se sont déclarés vainqueurs ; et de revenir sur la carte comme discours (la carte ne donne pas "tout", elle donne à voir une partie de la réalité sociale et spatiale, sélectionnée par son auteur) et sur son analyse.




Pour une mise en contexte, voir les billets :

Ce billet fait suite à la conférence-débat "Des violences post-électorales à la bataille d'Abidjan : géographie du conflit ivoirien de 2010-2011" organisée par   l'Association des Géographes de Savoie et le département de géographie de l'Université de Savoie à Chambéry le 19 janvier 2012. Qu'ils soient remerciés de cette invitation par ce billet !






Analyser les déplacements de guerre au prisme la représentation
cartographique : déplacés visibles / déplacés invisibles




On avait présenté, dans le billet "Maputo : des déplacés de guerre invisibles ?" du 8 février 2010, les travaux de la géographe Jeanne Vivet, qui propose un regard original dans le champ des études migratoires en confrontant la question des déplacés de guerre à leur (in)visibilité dans les espaces d'installation. Cette approche par les spatialités des déplacés de guerre permet de comprendre qu'il ne faut résumer la question des déplacés/réfugiés contraints/forcés (voir, à ce propos, la typologie des déplacés de guerre proposée par la géographe Liliane Barakat à propos des guerres du Liban, dans le billet "La guerre, la ville et les déplacés" du 17 mai 2009) dans les guerres aux seules personnes qui sont comptabilisées par les instances internationales ou locales, et qui sont accueillies dans des camps de déplacés/réfugiés.


Ces populations sont rendues "visibles" par leur "encampement" (pour reprendre le terme proposé par l'anthropologue Michel Agier à propos des camps de réfugiés : voir notamment les billets : "Les camps dans la région d'Abéché (1) : la territorialisation des réfugiés" du 16 novembre 2008, et "Les camps dans la région d'Abéché (2) : la militarisation de la ville" du 27 décembre 2008), c'est-à-dire que leur enfermement territorial permet non seulement de les comptabiliser (et ainsi de produire les chiffres sur lesquels reposent les différentes cartes de la répartition des déplacés/réfugiés de guerre que les différentes institutions produisent), mais aussi les amène à être catégoriser, par leurs spatialités, comme déplacés/réfugiés.


Ce sont à la fois des enjeux humanitaires (l'encampement permet de centraliser et de polariser l'aide humanitaire, notamment alimentaire, et de contrôler les risques sanitaires par un urbanisme de type "autoritaire" dans le sens où il repose sur le contrôle des institutions qui s'occupent du camp, et non sur un habitat "spontané" ou "désiré"), des enjeux sécuritaires (l'encampement permet d'enclaver des populations dans un périmètre où leurs mobilités sont entravées, afin de maintenir un contrôle social sur cet afflux massif de déplacés/réfugiés de guerre : la structure même des camps de déplacés/réfugiés reflète, par un urbanisme sécuritaire, cette volonté de contrôle des populations), et des enjeux sociaux (l'encampement produit des "indésirables" en emmurant des populations hors des espaces de vie "ordinaires").


A la question de ces déplacés/réfugiés de guerre "visibles" parce que pris en charge, répond la question des déplacés/réfugiés "invisibles", c'est-à-dire des populations qui s'installent hors des espaces de la prise en charge humanitaire et sécuritaire. Les problématiques soulevées par Jeanne Vivet sont particulièrement intéressantes, dans la mesure où elles rappellent que ces déplacés/réfugiés, s'ils ne sont pas comptabilisés, et donc cartographiés, n'en sont pas pour autant assimilés dans les espaces d'accueil.
"Cette invisibilité à la fois statistique, politique et territoriale pose des enjeux scientifiques et méthodologiques. Quel statut donner à l’invisible et comment l’appréhender sur le terrain ? En géographie, la notion d’invisible peut être entendue à deux niveaux distincts. Elle signifierait d’abord ce qui, dans l’espace, serait difficilement perceptible car non aisément distinguable. Ainsi des migrants dispersés àl’échelle d’une ville sont moins visibles que des étrangers regroupés dans un quartier « ethnique », à l’instar d’un « Chinatown ». L’invisible renverrait ensuite également à ce qui n’aurait pas de représentation normée dans une société donnée, ni d’organisations chargées de les représenter. Quels sont les enjeux méthodologiques d’une telle situation pour le chercheur ? Comment aborder ces anciens déplacés sur le terrain ? L’invisibilité est-elle le signe d’une intégration urbaine ou « assimilation » réussie ? Ou au contraire faut-il l’analyser comme une manifestation de leur « oppression » ? Dire l’invisible peut être un acte positif : le chercheur peut devenir un moyen de faire entendre la voix des déplacés, « oubliés de l’histoire », qui n’avaient pas la possibilité de le faire. Mais l’engagement du chercheur à révéler et dire l’invisible peut aussi le guider vers la volonté de le taire, afin de ne pas nuire à un individu ou à un groupe".
Source :  Jeanne Vivet, "Entre enracinement et réenracinement : Quelle identité des deslocados à Maputo et Luanda ?", colloque Identités en ville, identités de la ville, 21-22 janvier 2008, Université Paris 7.

Ce "détour" par la question de l'(in)visibilité des déplacés/réfugiés de guerre permet de comprendre ce qui est cartographié et représenté dans les cartes de la répartition des déplacés de guerre en Côte d'Ivoire en 2011, produites à partir des chiffres des institutions qui gèrent les camps de déplacés/réfugiés. Il ne s'agit pas de nier la pertinence de ces cartes, mais de mettre en exergue la nécessaire mise en contexte des données qui ont servi à la cartographie (voir le billet : "La carte-discours. Quelques éléments de réflexion" du 13 septembre 2009), pour en comprendre le sens et la portée.






Les déplacés "visibles" en Côte d'Ivoire :
cartographie d'un état des lieux




Les cartes présentées sur le site de l'Internal displacement monitoring centre (IDMC) proposent ainsi de comprendre les évolutions de la répartition des populations déplacées "visibles" depuis la fin des affrontements armés qui ont suivi la contestation des résultats du second tour des élections présidentielles de fin 2010 en Côte d'Ivoire. Les populations déplacées sont celles qui se retrouvent hors de leur espace de vie "ordinaire", déplacées sous la contrainte ou sous la force, sans être à l'extérieur des frontières de leur pays d'origine (sinon, elles deviennent des réfugiés). Deux types de populations déplacées peuvent se distinguer : celles qui se sont/ont été déplacées et se sont installées dès leur exil à l'intérieur des frontières de la Côte d'Ivoire, et celles qui ont dans un premier temps trouvé refuge à l'extérieur de leur pays, puis sont revenues en Côte d'Ivoire sans pouvoir se réinstaller dans leurs propres espaces de vie (ce sont alors des réfugiés devenus des déplacés).




Le temps des affrontements armés : espaces du départ et espaces-refuges


La première carte fournie sur le site est une production de l'OCHA (United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs), et montre les mouvements de populations et les violences en Côte d'Ivoire au 22 mars 2011. La légende distingue deux types de mouvements de populations : les réfugiés d'une part (2.000 au Ghana, 22 au Burkina Faso, 143 au Mali, 971 en Guinée et 93.683 au Liberia au 22 mars 2011 d'après les chiffres de l'UNHCR, du PNUD, de l'OCHA, de l'UNFPA, de l'OIM, de Devinfo, du DCW et du CNTIG/Côte d'Ivoire), et les populations déplacées d'autre part (1.297 depuis Thiebissou, 449 depuis Logouale, 1.158 depuis Man, 6.155 depuis Danané, 1.940 depuis Binhouye, 2.390 depuis Zouan-Hounian, 25.311 depuis Duékoué, 1.583 depuis Guiglo, entre 200.000 et 300.000 depuis Abobo - commune de l'agglomération abdjanaise).


Le choix des figurés est intéressant, dans la mesure où les mouvements de populations réfugiées sont signifiés par trois figurés (la flèche bleue montrant non les routes de l'exil, mais le passage de la frontière par les populations devenant alors réfugiées ; l'homme bleu dont la position - il marche - symbolise la migration de guerre, et dont la taille représente - sans précision d'ordre de grandeur dans la légende - le nombre de réfugiés ; et le chiffre en rouge foncé qui indique le nombre de réfugiés dans les pays d'accueil). Les mouvements de populations déplacées sont indiquées par deux figurés (la flèche noire qui indique les espaces de départ, et le chiffre en noir qui indique le nombre de déplacés en provenance de la ville concernée). Parallèlement, sont représentés les lieux de violences extrêmes (Toulepleu, Binhouye, Bangolo, Duékoué, Guiglo, Issia, Sinfra, Lakota, Yamoussoukro, Thiebissou, Bongouanou, Daoukro, Agnibilekfou, Agboville, Abidjan, Boudoukou).


Cette carte nous donne donc deux informations : les espaces de violence et les mouvements des déplacés/réfugiés de guerre. Elle doit être mise en parallèle avec des cartes/statistiques/infographies donnant à voir les espaces d'installation des déplacés/réfugiés de guerre, pour comprendre les différentes spatialités des mobilités sous la contrainte. L'analyse multiscalaire permet donc de mettre en exergue différents niveaux d'analyse : l'ampleur du phénomène des migrations de guerre à l'échelle du pays est un enjeu pour le processus dit de "réconciliation nationale", mais ne peut suffire à comprendre les enjeux de l'aide humanitaire et du retour "à la normale" pour les populations déplacées/réfugiées, dont les situations sont contrastées en fonction des espaces de départ, des routes de l'exil empruntées, et des espaces d'installation.






Le temps de la "réconciliation nationale" : les évolutions de la répartition des déplacés de guerre

Parmi les cartes disponibles sur le site de l'IDMC (Internal displacement monitoring centre), on retrouve également trois cartes produites par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) qui montrent la répartition des déplacés de guerre "visibles" (c'est-à-dire ceux comptabilisés par les instances - locales ou internationales - concernées par l'accueil des déplacés de guerre). La confrontation de ces trois cartes permet de voir l'évolution de l' "encampement" (pour reprendre le terme proposé par l'anthropologue Michel Agier concernant les déplacés/réfugiés accueillis dans des camps) des déplacés en Côte d'Ivoire depuis la fin des combats qui ont fait suite aux violences post-électorales.


La première carte a été réalisée avec les données du 28 juin 2011, la seconde et la troisième avec celles du 4 août 2011 (les deux cartes ont été produites avec les mêmes données, mais la représentation des déplacés de guerre diffère : dans la seconde carte, les données sont cartographiées à l'échelle de la région, tandis qu'elles le sont à l'échelle du département dans la troisième). Sur chacune des cartes est précisé que "les données contenues et présentées sont celles les plus actuelles et fiables disponibles. Cependant, ces informations provenant de nombreuses sources utilisant différentes méthodologies peuvent expliquer la qualité et précision des données. OIM présente ces informations "tel quel" et ne peut être responsable des erreurs potentielles". La question des données est importante dans l'analyse des cartes, puisqu'il ne s'agit pas, par ces cartes, de donner à voir toute la "réalité" du phénomène de migrations de guerre en Côte d'Ivoire, mais de donner un aperçu des données connues et fiables. Ainsi, ces cartes sont des outils pour les acteurs et pour les chercheurs, mais elles ne prétendent pas pouvoir couvrir toute la réalité des déplacements de guerre. On l'a vu, les déplacés "invisibles" ne sont pas représentés sur ces cartes, puisqu'il n'est pas possible de chiffrer leur présence.


Ces cartes nous indiquent donc les espaces de l'installation des déplacés de guerre "visibles", et les évolutions des "retours", ou tout du moins du départ des déplacés de guerre depuis ces lieux d'accueil. On peut repérer plusieurs types de lieux d'accueil : d'après les rapports du Cluster CCCM Côte d'Ivoire, la principale structure d'accueil des déplacés de guerre en Côte d'Ivoire est le "centre collectif". Dans sa typologie des lieux d'accueil, le Cluster CCCM Côte d'Ivoire distingue ainsi 5 types de lieux : la localisation, la localisation dispersée, le centre collectif, le site et le camp. A chacun de ces lieux d'accueil, correspond des besoins spécifiques de la part des déplacés/réfugiés de guerre, et des adaptations de la part des acteurs de l'aide humanitaire. A chacun de ces lieux, répondent également des normes et des procédures spécifiques dans l'aide humanitaire (voir, par exemple, Le toolkit de gestion de camp produit par le Conseil norvégien pour les réfugiés en 2008).


Enfin, à chacun de ces lieux, correspondent des dispositifs spatiaux particuliers, dont le plus connu reste la figure du camp (voir, par exemple, l'analyse de Luc Cambrézy : "Les camps de réfugiés du Kenya : des territoires sous contrôle", Géoconfluences ; et celle de Johanne Favre : "Réfugiés et déplacés dans l'Est du Tchad. De l'intervention humanitaire à la sécurisation militaire", EchoGéo). Si la représentation cartographique donne, le plus souvent, à voir un figuré pour les différents lieux d'accueil des migrants de guerre, et si la figure de l'encampement reste majoritaire dans ces représentations, il existe différents types de lieux d'accueil, dans lesquels les territoires du quotidien pour les déplacés/réfugiés se structurent de manière très diversifiée.




Source : Arte Journal, Arte, 22 avril 2011.




Derrière la typologie proposée par le Cluster CCCM Côte d'Ivoire dans ses tableaux d'analyses (voir, par exemple, la dernière actualisation datant du 5 décembre 2011 ; pour accéder à l'ensemble des actualisations de ces tableaux d'analyses, voir la page Côte d'Ivoire du site Reliefweb), qui révèle avant tout les enjeux juridiques pour les acteurs de l'aide humanitaire, on se propose de distinguer ainsi 3 types de lieux d'accueil :
- les camps de déplacés/réfugiés (qui sont la forme extrême de l'enfermement et du contrôle des migrants de guerre ou de catastrophe) ;
- les centres d'accueil (qui regroupent les formes intermédiaires d'accueil, qui ne sont pas marqués par une forme extrême d'enfermement et de contrôle spatiaux et sociaux, comme les camps, notamment en termes de mobilités pour les "accueillis") ;
- les sites "invisibles" (qui regroupent tous les lieux dispersés dans lesquels s'installent les déplacés/réfugiés de leur propre chef).


Deux aires d'accueil des déplacés de guerre se dessinent : l'agglomération abidjanaise d'une part, et l'Ouest ivoirien d'autre part. Ces deux aires d'installation répondent à des problématiques différentes : dans l'Ouest ivoirien (particulièrement marqué par les violences et les combats entre les forces loyales aux deux candidats au second tour des élections présidentielles de fin 2010), l'installation est liée à la proximité. Les populations concernées sont des déplacés forcés, c'est-à-dire des habitants qui fuient leur habitation dans une situation d'urgence (voir la typologie des déplacés de guerre proposée par la géographe Liliane Barakat dans le billet "La guerre, la ville et les déplacés" du 17 mai 2009). La proximité entre les lieux de départ et les lieux d'arrivée jouent donc dans cette installation. Contrairement à une idée reçue, la majorité des flux de migrants de guerre se fait non à destination des pays dits "du Nord", mais à proximité du lieu de départ, soit à l'intérieur du pays, soit dans les pays voisins (à ce propos, voir l'ouvrage L'asile au Sud dirigé par Luc Cambrézy, Smaïn Laacher, Véronique Lassailly-Jacob et Luc Legoux ; et le site Internet consacré au colloque éponyme, et notamment la contribution d'Issa Ouattara sur "Les profils des déplacés de la crise ivoirienne").

En comparant les cartes du 28 juin 2011 et du 4 août 2011 représentant la présence de déplacés de guerre à l'échelle des régions, on constate que, derrière la tendance aux retours, se cachent des inégalités : si les déplacés de Bas-Sassandra, des Montagnes et de Haut-Sassandra retournent massivement dans leurs foyers (ou tout du moins quittent les lieux d'accueil où ils sont comptabilisés comme déplacés), ce n'est pas le cas pour les deux foyers de violences que sont le Moyen-Cavally et les Lagunes. Cette géographie du (non-)retour dessine les territoires de la violence et les territoires vulnérables en Côte d'Ivoire, par-delà le temps des combats. "La violence construit donc des territoires urbains (dans le cas de l'analyse proposée par Jérôme Tadié) dynamiques, dans la mesure où ils sont modelés par des tensions, des rivalités ou des conflits" (Jérôme Tadié, 2006, Les territoires de la violence à Jakarta, Belin, collection Mappemonde, Paris, p. 8). Ainsi, la violence produit des spatialités et des territorialités qui modèlent les espaces de vie des habitants "ordinaires".








Déplacés et réfugiés de guerre :
conséquences multiscalaires




Les déplacés de guerre au début des années 2000



Les précédentes crises ivoiriennes avaient elles aussi provoqué des flux massifs de déplacés de guerre. La carte des "Provenances des déplacés de guerre" proposée par Issa Ouattara dans l'ouvrage collectif L'asile au Sud (La Dispute, 2008, p. 166) montre l'importance des flux à destination de l'agglomération abidjanaise. La ville est un lieu paradoxal dans les guerres : bien que des combats et des violences puissent s'y dérouler, tant elle est un espace géosymbolique, elle reste néanmoins un espace attractif pour les migrants de guerre. Suite à la crise ivoirienne de 2002, Issa Ouattara a analysé les lieux d'origine de ces déplacés s'installant à Abidjan : "la Vallée-du-Bandama et les Montagnes, régions administratives pilotées par les villes de Bouaké et Man apparaissent comme celles dont les populations déplacées sont les plus dispersées dans l'agglomération abidjanaise. Les déplacés de la Vallée-du-Bandama représentent 40,7 % de la population observée et ceux des Montagnes de l'Ouest, 20,6 %. Viennent loin derrière les régions du Moyen Cavally, et des Savanes avec respectivement 12,9 et 5,1 %. La forte présence à Abidjan des ressortissants de ces régions renvoie à une conjugaison de facteurs. parmi ceux-ci, une forte concentration de membres des familles des déplacés, issus de ces régions dans les communes du district d'Abidjan n'est pas à exclure : la famille ethnoculturelle dominante, le groupe Akan, originaire de la région du Bandama, représentait 48,7 % de la population totale urbaine en 1982, alors que les Mandé de la région des Montagnes représentaient 7,9 %" (Issa Ouattara, "Les déplacés de la crise ivoirienne", dans Luc Cambrézy, Smaïn Laacher, Véronique Lassailly-Jacob et Luc Legoux (dir.), 2008, L'asile au Sud, La Dispute, Paris, p. 167).


Ainsi, pour la population déplacée "invisible", l'installation dans l'agglomération abidjanaise joue notamment des réseaux de solidarité. Issa Ouattara note également que ces déplacés de guerre se constitue d'une "population jeune et à dominante féminine" (op. cit., p. 168). Il note enfin combien ces migrations sont des enjeux dans l'aménagement du territoire ivoirien dans le contexte post-crise. En effet, les espaces de départ comme les espaces d'arrivée sont affectés par ces migrations de guerre : les premiers par leur chute démographique (qui provoque notamment un manque de main-d'oeuvre), et les seconds par une explosion démographique dans certains quartiers (qui pose des problèmes d'insalubrité des logements, de surdensification de certains quartiers, de risques sanitaires, ou encore de concurrence pour l'accès au marché du travail). "Nos enquêtes mettent en évidence trois espaces diversement affectés par les mouvements de déplacés. D'un côté, une vaste étendue savanicole, peu affectée par l'exode massif, le Centre excepté ; de l'autre, des régions forestières occidentales en cours de colonisation par des migrants internes et étrangers très fortement affectées par les départs ; enfin, la forte représentation des déplacés dans des emplois de type urbain" (op. cit., pp. 169-170).


Evolution des populations déplacées en Côte d'Ivoire

Parmi les cartes disponibles sur le site de l'IDMC (Internal displacement monitoring centre), on retrouve des cartes qui datent d'avant les violences post-électorales de fin 2010 / début 2011. La première carte présentée ici montre les déplacés en Côte d'Ivoire en avril 2008, et la seconde les déplacés en Côte d'ivoire en décembre 2009. Ces deux cartes montrent que la question des déplacés de guerre contraints/forcés de fuir leur domicile aux lendemains du second tour des élections présidentielles de fin 2010 "s'additionne" au problème de l'impossible retour d'une partie des déplacés des précédentes crises ivoiriennes (1999, 2000, 2001-2002). On remarque même que, loin de se résorber, le phénomène des déplacés reste préoccupant, voire se renforce au fur et à mesure du temps, dans certaines régions ivoiriennes. L'Ouest ivoirien apparaît, avant les violences de fin 2010 / début 2011, comme un espace de très forte vulnérabilité pour les populations. Parallèlement, on peut tout de même noter des mouvements de retours. Ces flux font apparaître deux types d'espaces d'installation depuis lesquels s'effectuent ces flux de retours : en provenance des grandes villes (et tout particulièrement de l'agglomération abidjanaise) vers des régions d'origine parfois éloignées ; ou dans l'Ouest ivoirien à proximité proche du lieu d'installation temporaire. Le premier type d'espace d'installation devenant espace de départ confirme le rôle attractif de la ville dans le temps des combats et des violences : ce n'est pas tant la proximité qui joue de cette installation, mais bien l'attraction urbaine qui fait de la ville un espace "désiré" malgré les violences. Le deuxième type d'espace montre la vulnérabilité vécue et/ou perçue des habitants dans l'Ouest ivoirien, puisque malgré la proximité du lieu d'installation, le retour tarde depuis la fin des violences.

Analyser la question des retours depuis la fin des combats de début 2011 est donc particulièrement difficile, puisque certains déplacés l'étaient déjà avant cette période de violence, d'autres se sont à nouveau déplacés, d'autres encore le sont devenus par cette guerre. L'évolution des populations déplacées en Côte d'Ivoire depuis la fin des combats de 2011 doit également être confrontée à plusieurs critères : l'inégale répartition des déplacés/réfugiés de guerre affectent de manière différente les régions ivoiriennes qui font face à cet afflux ; mais il faut aussi regarder les différentes structures d'accueil et les différents types de lieux d'installation, pour comprendre les différents aspects de la question des migrations de guerre, et l'ancrage de la vulnérabilité par-delà le temps des combats.


Du point de vue de la répartition des déplacés dans leur lieu d'installation, on constate que l'Ouest ivoirien, principale zone de provenance, est également la principale aire d'installation temporaire (tout du moins dans l'intention) des déplacés de guerre. or, c'est aussi dans cette zone que les principaux déplacés qui n'avaient pas encore regagné leur domicile se trouvaient avant le déclenchement de ces derniers combats. C'est donc une région particulièrement vulnérable, tant dans le départ que dans l'arrivée. Si les déplacés de guerre s'installent à proximité de leur espace de vie, ils ne sont plus pour autant actifs dans le marché du travail local, surtout quand ils sont accueillis dans des structures "enfermantes" comme les camps de déplacés. Si à l'échelle du pays, on ne peut constater une chute démographique flagrante dans l'Ouest ivoirien, cette situation n'en a pas pour autant aucune conséquence sur l'aménagement des espaces de travail.


Graphique de l'évolution par mois des déplacés sur sites par régions
Sources : "Tableau d'analyses - Cluster CCCM", IDCM, 5 décembre 2011, p. 3.


Enfin, les cartes montrant l'évolution du nombre de déplacés comptabilisés par régions de juin 2011 à novembre 2011 montrent que la question des retours ne suit pas un flux continu dans le temps, c'est-à-dire que le nombre de déplacés ne va pas toujours en diminuant dans certaines régions. Par exemple, en octobre 2011, l'agglomération abidjanaise connaît un "pic" d'arrivée de déplacés, qui, contrebalançant les départs d'autres déplacés, fait que l'agglomération redevient un espace d'arrivée de déplacés, quelques 5 mois après l'arrêt des combats. Cela témoigne de l'impossible retour pour certains déplacés de guerre, pour qui, face à la dangerosité - réelle ou perçue - de leur espace de départ, quittent leur espace d'installation provisoire pour se rendre dans le pôle urbain le plus attractif de la Côte d'Ivoire.


Cartes de l'évolution par mois des déplacés sur sites par régions
Sources : "Tableau d'analyses - Cluster CCCM", IDCM, 5 décembre 2011, p. 3.




==> L'analyse par les cartes de la question des déplacés de guerre en Côte d'Ivoire suite aux contestations des résultats du second tour des élections présidentielles de fin 2010 montre l'importance de la multiscalarité pour comprendre les espaces de l'urgence humaintaire, mais aussi les aménagements du territoire nécessaires dans le processus dit "de réconciliation nationale". La pacification des territoires ne peut faire l'économie d'une approche géographique de la question des déplacés/réfugiés de guerre, dans la mesure où celle-ci sert à la compréhension des différentes situations vécues et perçues par ces populations vulnérables.




Quelques ressources en ligne




Des articles sur Géoconfluences :


Des dossiers en ligne :
  • "Côte d'ivoire : une succession manquée", La documentation française, mis à jour le 1er juin 2011.
    • Introduction
    • Questions à Christian Bouquet
    • Aux origines de la crise de 2010-2011
    • L'élection présidentielle de 2010
    • Biographies
    • Chronologie
    • Sélections d'ouvrages, revues et rapports
  • "Dossier Côte d'Ivoire", Arte, mis en ligne depuis le 18 janvier 2011, mis à jour le 30 novembre 2011.
    • Chronologie de la crise ivoirienne
    • Les articles
    • Les interviews
    • Les reportages


Des cartes et des documents :

Des rapports :

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