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jeudi 19 mai 2011

Nouveaux regards cartographiques sur la mondialisation : retour sur une journée d'études


Annoncée sur ce blog, la journée d'études "Nouveaux regards cartographiques sur la mondialisation" du 18 mai 2011, organisée par Géoconfluences et l'Institut français de l'Education s'est avérée riche en enseignements et en pistes de réflexion. Les vidéos de cette journée d'études seront prochainement mises en ligne sur le site de Géoconfluences, avec les power-point des présentations. Ce billet ne se veut pas un compte-rendu de cette journée d'études, mais propose des liens pour approfondir les idées-clés qui ont été énoncées par les différents intervenants et par les deux animateurs des tables-rondes (voir le programme de la journée d'études).



Quelles représentations de la mondialisation dans les cartes ?


Manuels scolaires et atlas grand public
Sylvain Genevois a présenté l'évolution de l'utilisation des cartes de la mondialisation dans les manuels scolaires. C'est d'abord une évolution de la mondialisation comme objet de l'enseignement qu'il faut interroger : il nous a ainsi montré des cartes extraites de manuels depuis les années 1980. Dans les années 1980, le monde était représenté selon l'ordre bipolaire qui prévalait sur la géopolitique de l'époque. Bien évidemment, la situation géopolitique mondiale a beaucoup évolué. Dès les années 1990, d'autres représentations cartographiques se sont insérées dans les manuels scolaires (voir, par exemple, Jacky Fontanabona, 1993, "La construction du concept de "système-monde" en classes de terminales A, B, C, D", Mappemonde, n°3/1993, pp. 10-11), et la place de la question de la mondialisation s'est faite progressivement plus prégnante. Désormais, elle fait partie intégrante de l'enseignement, en tant que chapitre à part entière. La carte dans les manuels scolaires doit être lisible et compréhensible pour les élèves. On constate que les cartes représentant les processus et les bénéfices/désavantages de la mondialisation ont longtemps été très majoritairement des planisphères. Mais Sylvain Genevois nous a montré une évolution notable de la cartographie dans les manuels scolaires concernant ces questions : la variation des échelles est désormais plus présente. L'ensemble des intervenants de la journée d'études a d'ailleurs bien insisté sur ce point : ce n'est pas parce qu'il s'agit de mondialisation que seul le planisphère peut permettre une représentation de ces phénomènes.


Les échelles de la mondialisation
C'est d'ailleurs l'un des points forts de l'intervention du géographe Frank Tétart (rédacteur en chef du magazine Carto) : il a montré combien l'analyse de la mondialisation devait être nécessairement multiscalaire, afin de ne pas montrer une vision de la mondialisation trop tronquée. En prenant la carte des "exclus de la mondialisation" à l'échelle mondiale (carte de "La typologie des Etats dans la mondialisation en 2004" publiée dans la Documentation photographique n°8037 : "La mondialisation en débat" de Laurent Carroué), Frank Tétart montre que cette échelle est nécessaire mais non suffisante pour rendre compte de la mondialisation. Cette échelle ne rend pas compte de l'intégration à la mondialisation économique de petits territoires à l'intérieur des Etats "exclus de la mondialisation" (représentés en jaune sur cette carte) : par exemple, c'est le cas des espaces productifs en énergies dans le Golfe de Guinée. Frank Tétart nous a donné également l'exemple de la Chine : à l'échelle de l'Etat, on voit apparaître de profondes disparités entre une Chine littorale intégrée à la mondialisation et une Chine "profonde" délaissée par ces processus. Mais, il faut encore pousser l'analyse : il nous a ainsi montré qu'il ne fallait pas se contenter de cette échelle, en se penchant par exemple sur le cas du Xinjiang : une région qui ne fait pas partie de la Chine littorale, mais qui est pourtant bien intégrée à la mondialisation par les flux de ressources énergétiques générées par son potentiel. Si cette région est plus connue pour les revendications territoriales de ses habitants et la politique de sinisation imposée par le pouvoir (voir, par exemple, Guillemette Pincent, 2009, "Les empreintes spatiales de la sinisation dans les petites et moyennes villes du Xinjiang", Géocarrefour, vol. 84, n°1-2, pp. 105-112), il ne faut pas oublier que les répressions qui sont exercées par le pouvoir chinois dans cette région découlent directement d'une volonté de contrôle social de ce territoire pour sa richesse en ressources, et pour son intégration dans la mondialisation (voir Alain Cariou, 2009, "Le nouveau Xinjiang : intégration et recompositions territoriales d'une  périphérie chinoise", Echogéo, n°9, juin/août 2009). Les différents exemples donnés par Frank Tétart rappelle bien la nécessité de penser et d'enseigner la mondialisation par le prisme d'une analyse multiscalaire.

Au final, chaque représentation cartographique est tronquée, et ne montre qu'une échelle de la mondialisation. Ces "nouveaux regards cartographiques sur la mondialisation" insistent sur la pertinence, et même la nécessité, de prendre en compte des échelles diversifiées. Les lieux de la mondialisation doivent être cartographiés au même titre que les processus à l'échelle mondiale. La mondialisation et le Monde ne sont pas synonymes : les cartes du Monde ne montrent donc pas forcément la mondialisation.

La typologie des Etats dans la mondialisation en 2004
Source : Laurent Carroué, "La mondialisation en débats", Documentation photographique, n°8037, p. 63.


Les cartes de la mondialisation : une représentation subjective
Bien évidemment, tous les intervenants ont insisté sur l'idée d'une subjectivité assumée de la carte : elle est toujours une représentation construite par son auteur ou celui qui la commande. La géographe Delphine Papin (journaliste-cartographe au Monde) a d'ailleurs montré les difficultés de réalisation de cartes dans des contraintes de temps qui sont imposés par les rythmes éditoriaux. Dans un quotidien, les journalistes-cartographes n'ont que 6h chaque jour pour produire leurs cartes. Le temps de trouver les données correspondantes, de réfléchir à la sémiologie graphique, de penser aux attentes du public destinataire de ces cartes est donc des plus restreints ! Même dans le travail effectué pour la série des atlas co-édités par La Vie/Le Monde (voir une note de lecture de l'Atlas des mondialisations pour les Cafés géographiques), destinés volontairement à un public très large, le temps de conception des cartes (environ 200 cartes par atlas) est très restreint (seulement 2 mois pour penser les cartes, trouver les données correspondantes, les faire valider par les journalistes/chercheurs qui rédigent les articles, et les concevoir). Delphine Papin est revenue sur les choix effectués sur certaines cartes dans ces atlas (elle a conçu l'ensemble des cartes des deux derniers hors-série de cette collection : l'Atlas des civilisations et l'Atlas des mondialisations). C'est également un des points de l'intervention de Pascal Orcier (géographe et cartographe) qui a réalisé toutes les cartes du dernier ouvrage du géographe Michel Foucher : La bataille des cartes. Analyse critique des visions du monde (voir une note de lecture de Gilles Fumey pour les Cafés géographiques). Plusieurs questions ont été soulevés par les différents intervenants : la carte se lit-elle seule ? Est-elle un "accompagnement" au texte, un "complément", un "texte" en elle-même ? Le géographe Laurent Carroué (professeur des Universités, inspecteur général et spécialiste de la géographie de la mondialisation : voir notamment son ouvrage ) a énoncé des questionnements majeurs sur la cartographie, qui doivent être posés non seulement par ceux qui conçoivent les cartes, mais aussi par ceux qui les enseignent, par ceux qui les perçoivent et qui les décryptent : jusqu'où peut-on aller dans la représentation de la complexité, en restant lisible, sans tomber dans la bande dessinée ?


La carte, un outil de l'enseignement : de quel enseignement parle-t-on ?
La carte est un outil de l'enseignement. Mais elle peut aussi devenir un outil de propagande via l'éducation. C'est ainsi que le géographe Michel Sivignon a analysé, dans son ouvrage Les Balkans, une géopolitique de la violence (voir une note de lecture pour les Cafés géographiques), des cartes extraites de manuels scolaires de Bosnie-Herzégovine (voir également le compte-rendu du café géographique "Le péché cartographique : le cas des Balkans" avec Michel Sivignon). Deux manuels scolaires ont été utilisés : l'un diffusé dans les écoles de la Fédération croato-bosniaque ; l'autre dans les écoles de la Republika Srpska ou de Serbie (voir une mise en contextualisation de la question de la partition de la Bosnie-Herzégovine en deux entités politiques depuis les Accords de paix de Dayton qui ont mis fin à la guerre le 14 décembre 1995). De part et d'autre de la Ligne-Frontière inter-entités (IEBL), les cartes utilisées dans ces manuels donnent à voir et à penser aux élèves des visions de leur pays très différentes : "Les atlas nationaux et plus encore les atlas à usage scolaire restent aujourd'hui des instruments de propagande. Rien de plus révélateur que la comparaison entre un atlas scolaire de Bosnie-Herzégovine et un atlas scolaire de Serbie et, en Bosnie-Herzégovine, entre les atlas scolaires bosniaques, serbes et croates. Dans le premier, toutes les cartes thématiques sont muettes sur la division du pays en deux entités. On voit cependant apparaître comme à regret un cartouche qui fournit la limite entre la Republika Srpska et la Fédération Bosno-Croate et la division entre cantons de cette dernière, sans fournir aucun renseignement sur la Republika Srpska. Inversement, dans l'atlas scolaire de Serbie, plusieurs cartes sont consacrées à la description de la Bosnie-Herzégovine. Elles se limitent à la Republika Srpska et la Fédération Bosno-croate apparaît en blanc, telle une terra icognita" (voir les cartes de Michel Sivignon : Les Balkans, une géopolitique de la violence, Belin, coll. Mappemonde, 2009, pp. 139-140 ; voir également le billet "La paix par l'éducation ? De la carte au discours" ; plus spécifiquement sur le cas des Balkans, voir le dossier du Courrier des Balkans "Education : des manuels scolaires qui sèment la haine ?").

Mais le cas des Balkans est loin d'être une exception, comme le montre par exemple la décision, très controversée, du Ministre de l'Education d'Israël en 2006 de donner aux cartes les frontières de 1967 (voir un article publié par L'Orient Le Jour présentant les enjeux de cette polémique ; pour comprendre la question frontalière en Israël/Palestine, on se reportera notamment au site du géographe Fabien Guillot : "Palestiniens et Israéliens : à la recherche de la paix" ; et l'article de David Newman, "La frontière Israël-Palestine. Changements et continuité", Outre-terre, n°9, n°2004/4, pp. 131-144 ; et celui d'Alain Dieckhoff, "Quelles frontières pour l'Etat d'Israël ?", Ceriscope, 2011).

Laurent Carroué a rappelé combien la production cartographique est toujours liée à la situation politique et géopolitique. Et a posé une question majeure sur la cartographie de la mondialisation, et même sur la cartographie en général : comment faire aujourd'hui une carte à la fois comme outil et comme objet ? Un outil de diffusion de l'information, d'enseignement, d'explication, etc. Un objet de réflexion, parce que quelque soit la carte, elle est toujours liée à un contexte éditorial (des choix faits en fonction du public visé, du temps dont dispose le cartographe, des données disponibles et de leur fiabilité, de contraintes techniques ou financières...), et à un contexte politique et géopolitique (est-on toujours libre de cartographier ce que l'on veut ? est-on toujours libre d'utiliser les cartes que l'on veut en classe ?).

Le cas des Balkans est particulièrement éloquent : actuellement, des recensements ont lieu dans de nombreux pays issus de la décomposition de la Yougoslavie (voir, à ce propos, le dossier du Courrier des Balkans sur les recensements en cours). Ces recensements sont nécessaires : les derniers ont eu lieu en 1991 (du temps de la Yougoslavie, exception faite pour le Kosovo, où le recensement de 1991 ayant été boycotté par la majorité albanaise, le dernier recensement effectif date de 1981). Comme le titre le Courrier des Balkans pour le cas du Monténégro "un recensement, ce n'est pas de la statistique, c'est de la politique !" : si on élargit au cas des pays issus de la décomposition de la Yougoslavie en général, le Courrier des Balkans rappelle que "dans les Balkans, un recensement c'est la guerre !". C'est encore plus vrai de la cartographie : mettre en cartes la répartition des populations, c'est appuyer les discours géonationalistes (voir, à ce propos, Amaël Cattaruzza, 2007, "Comprendre le référendum d'autodétermination monténégrin de 2006", Mappemonde, n°87, n°3/2007, qui définit le géonationalisme comme "l’ancrage spatial et/ou territorial du nationalisme concrétisé dans l’espace politique ou projeté dans les représentations territoriales. Si le nationalisme est un discours fondant et légitimant un groupe national, sa matérialisation dans l’espace — par des monuments, des frontières — et dans les représentations collectives et individuelles — sous forme de cartes politiques, historiques et de cartes mentales — donne corps à ce discours et lui permet de se massifier et de se diffuser sur un territoire"), c'est-à-dire qu'il est possible d'entériner, par la carte, l'homogénéisation communautaire des territoires, de lui donner corps, et d'appuyer les discours séparatistes, que ce soit dans le cas de la Republika Srpska (voir le billet "Bosnie-Herzégovine : d'une indépendance à l'autre ?") ou dans le cas du Kosovo où les projets d'une partition hantent la scène politique au Kosovo comme en Serbie (voir, par exemple, les récentes déclarations d'Ivica Dacic, ministre de l'Intérieur en Serbie, pour qui, au Kosovo, la partition est "la seule solution réaliste" : voir l'article du Courrier des Balkans à ce propos). Les recensements et les cartes sont des "armes" politiques, permettant à des acteurs belliqueux ou séparatistes de justifier la différenciation communautaire, voire le rejet de "l'Autre", dans les espaces de vie comme "légitimes". On en revient aux cartes dans les manuels scolaires utilisées par Michel Sivignon dans son ouvrage Les Balkans : géopolitique de la violence : la carte n'est pas seulement un outil dans l'enseignement, elle permet aussi de "formater" les visions du monde. Frank Tétart a, à ce propos, rappelé les difficultés des cartographes concernant les toponymes : comment doit-on nommer le Golfe arabo-persique/arabique/persique ? La mer de Chine méridionale ? Pascal Orcier a donné une anecdote de la conception de son ouvrage La Lettonie en Europe. Atlas de la Lettonie (voir une note de lecture de Yann Calbérac pour les Cafés géographiques) : fallait-il inscrire sur les cartes "territoire délivré" ou "territoire occupé" par l'URSS ? Chaque toponyme découle d'une représentation, d'une vision du monde, et donc d'une interprétation, d'un discours, d'une politique (voir, à ce propos, le billet "Nommer les lieux : une problématique en géographie culturelle et politique", la page "Nommer les lieux au Kosovo" sur le site Géographie de la ville en guerre, et l'excellent Atlas des Atlas réalisé par le Courrier international).




Qui cartographie ? Que cartographie-t-on ?


Les outils cartographiques sur Internet : une cartographie "participative" ?
Le géographe Thierry Joliveau, qui anime l'excellent blog Monde géonumérique, est revenu sur plusieurs de ces billets : en posant notamment la question de la multiplication des cartes "participatives", c'est-à-dire des cartes qui sont construites à partir de données géolocalisées qu'entrent les utilisateurs d'Internet eux-mêmes (à ce propos, on consultera les blogs des géographes Thierry Joliveau : Monde géonumérique, et Jérémie Valentin : Géographie 2.0). Comme le montre Thierry Joliveau, il ne faut pas surestimer la participation des utilisateurs à la construction de ces cartes : d'une part, l'excès de données géolocalisées peut être contre-productif et créer des cartes illisibles (voir son billet "Ces cartes pas si participatives") ; d'autre part, la plupart des cartes produites par ce type de données sont retravaillées par ailleurs, les cartographes amateurs choisissant certains figurés, certaines données, etc. Dans son intervention, Thierry Joliveau a donné des exemples qu'il a analysé en détail sur son blog : le cas de la grippe A(H1N1) ("Fièvre cartographique pour la grippe A(H1N1)", "Cartes de la grippe A(H1N1) (suite)") ou encore celui de l'affaire Madoff ("« Néogéographie » des victimes de Madoff"). Cette utilisation massive des cartes sur le Web a été analysée par Thierry Joliveau dans son billet "La carte, un truc de maniaques ?" : "De plus en plus de gens vont être conduits à saisir des données géolocalisées et à s'exprimer spatialement au moyen de dispositifs de type "néogéographique". Il faut apprendre tôt, dès l'école, aux citoyens à décrypter les images et les cartes et à percevoir leur pouvoir rhétorique. La diffusion des outils cartographiques sur le Web est un excellent moyen pour développer cette sensibilisation. Peut-on espérer pour autant former toute la population à une maîtrise élaborée du langage de la carte ? Il me semble que non. La maîtrise du langage cartographique n'est vraiment utile que pour des spécialistes : ceux qui concevront les dispositifs cartographiques du Web mis à la disposition du grand public. Ce sot des professionnels qui programmeront ces interfaces pour qu'elles soient sémiologiquement satisfaisantes. Un outil comme Géocommons, par exemple, est bien adapté à un utilisateur qui veut faire lui-même des cartes plus élaborées, chorographiques ou choroplètes. L'outil aide à éviter les erreurs les plus graves, sans les prévenir complètement, car cela n'est pas possible. C'est donc un outil intermédiaire entre les outils grand-public et professinnels. Des usages sauvages et individuels de la cartographie, plus créatifs et artistiques, sont dependant nécessaires pour renouveler les cartes et faire évoluer leur langage". Les différents intervenants (et les auditeurs !) ont donc insisté sur l'importance de l'enseignement dans la compréhension de la carte, non comme une donnée réelle, une photographie de la mondialisation ou de l'un de ses aspects, mais comme une représentation pour laquelle il est nécessaire de connaître le langage pour la comprendre. Thierry Joliveau a, par ailleurs, dénoncé les risques d'une telle expansion des supports cartographiques, entre infographie esthétique et réelle information. L'exemple du débat suscité par la publication par les journalistes d'OWNI d'une représentation de la "cuisine de la guerre" permet de montrer les dérives possibles entre information et image (voir la représentation de la mortalité des guerres au cours du XXe siècle proposée par le projet "100 years of world cuisine" et quelques éléments du débat autour d'une telle imagerie dans Arrêt sur image). Pour ne donner que cet exemple, il faudrait rapporter le nombre de morts au nombre d'habitants des pays en guerre et à la durée du conflit pour prétendre à une représentation comparative. Parfois des éléments de langage de la cartographie sont repris par l'infographie, en "surfant" sur la perception de la carte comme une donnée "réelle".

La mondialisation de la grippe A(H1N1) vue par la néogéographie
Source : Thierry Joliveau, "Cartes de la grippe A(H1N1) (suite)", Monde géonumérique, 18 juin 2009.


Un enseignement à la cartographie pour donner les outils de lecture des cartes
La question de la place des cartes dans les programmes scolaires a été abordée à de nombreuses reprises dans la journée d'études : la carte et l'atlas se vendent très bien en France, ce qui est assez rare. Un auditeur étatsunien a ainsi montré qu'il trouvait étonnant que le marché de l'édition puisse accepter de voir émerger tant d'atlas de la mondialisation (tout comme pour les autres thématiques : religions, minorités, énergies, etc.) sans avoir peur de ne pas vendre ces atlas. Au contraire, les atlas en kiosque et les magazines tels que Diplomatie ou Carto qui mettent en avant les cartes, sont de véritables succès. A défaut parfois d'avoir tous les outils pour pouvoir lire les cartes, les Français aiment les cartes, ont conscience de l'importance de la carte comme outil d'explication et d'enseignement. La place de la carte dans les manuels scolaires est, en ce sens, très formatrice. Mais Sylvain Genevois a rappelé un risque quant à ces manuels scolaires : la plupart des cartes de la mondialisation qui y sont présentées (ou plutôt représentées, dans la mesure où il s'agit bien de représentations de la mondialisation, et non d'une "photographie" de la réalité de la mondialisation) se ressemblent : cartes des flux économiques mondiaux avec des figurés semblables (des échanges symbolisés par des flèches de tailles diverses), cartes de la Triade économique, carte des flux de migrations mondiaux, etc. Le risque est de donner l'impression que la mondialisation est uniformisée, qu'elle peut (doit ?) toujours être représentée de la même manière, qu'il n'y a qu'une forme de mondialisation. Or, les différents exemples donnés par Delphine Papin et Frank Tétart ont montré que de telles représentations cartographiques donnaient à voir une vision tronquée de la réalité. Pour exemple, Delphine Papin a montré une carte de "la route de l'exil", dans laquelle les auteurs de l'Atlas des mondialisations ont cherché à mettre en avant la difficulté de ces migrations, par le biais de la mise en carte de deux récits de migrants : derrière les flèches continues présentées dans les cartes des flux de migrants à l'échelle mondiale, se cachent en réalité des discontinuités dans les parcours des migrants (à ce propos, on se reportera à l'excellent Atlas des migrants en Europe. Géographie critique des politiques migratoires - voir une note de lecture pour les Cafés géographiques - et au compte-rendu du café géographique "L'Europe et la misère du monde : mobilités, politiques migratoires en débats" avec Olivier Clochard et Alain Morice, deux des auteurs de cet atlas).

Ces questionnements ont permis de mettre en exergue un autre risque de la carte et de son usage : la carte est souvent perçue comme une "photographie" de la réalité. Or, la carte est toujours une interprétation (voir le billet sur la carte-discours), elle n'est jamais qu'une représentation d'une certaine réalité, celle que l'on nous donne à voir. Le cartographe fait des choix (ou se voit imposer des choix !) : tout n'est pas cartographié, certains thèmes sont mis en avant dans la carte, d'autres peuvent être volontairement mis de côté. Le choix des figurés, des couleurs, des aplats (voir, à ce propos, les Actes du colloque "30 ans de sémiologie graphique" publiés dans Cybergéo, et tout particulièrement l'article de Jean-Paul Bord, 2000, "Géographie et sémiologie graphique : deux regards différents sur l’espace") n'est pas seulement une question d'esthétique : il donne à voir des phénomènes qui sont mis en avant, contre d'autres qui sont plus "effacés" dans cette représentation par la carte. Comme le montre Olivier Milhaud dans l'introduction du compte-rendu du café géographique "Le péché cartographique : le cas des Balkans" avec Michel Sivignon : "Toute carte est interprétation. Or lire une carte, c’est l’interpréter. Donc lire une carte, c’est interpréter une interprétation". Comme l'a montré Sylvain Genevois, l'enseignant doit alors insister sur la déconstruction des cartes pour faire comprendre les discours sous-jacents dans une carte, et ne pas la considérée comme une donnée, mais bien comme une représentation à partir de données.


Que cartographie-t-on ?
La cartographie de la mondialisation met très souvent en avant les désavantages de celle-ci. Sylvain Genevois a montré combien la mondialisation elle-même posait des questions : il n'y a pas de consensus sur cette notion, même chez les géographes. De plus, les outils conceptuels utilisés dans la géographie et les représentations cartographiques de la mondialisation ne sont pas toujours éclairants parce qu'ancrés dans un jargon disciplinaire : son regard sur l'utilisation des cartes dans l'enseignement scolaire a montré la difficulté de faire comprendre des concepts cartographiés tels que les pôles, les centres, les flux, etc. Au-delà du seul exemple de la cartographie de la mondialisation, l'ensemble des interventions invite à réfléchir à la manière dont nous concevons nos cartes, mais aussi dont nous interprétons les très nombreuses cartes qui nous sont données à voir.


Pour aller plus loin : quelques ressources choisies
En plus des liens déjà cités dans ce billet, voici une sitographie (loin d'être exhaustive !) qui permet d'approfondir quelques-uns des questionnements de la journée "Nouveaux regards cartographiques sur la mondialisation".

De très nombreux ouvrages ont été écrits sur la mondialisation. Voici une sélection subjective d'ouvrages incontournables sur la mondialisation :
  • Jacques Lévy (dir.), 2008, L'invention du Monde. Une géographie de la mondialisation, Presses de Sciences Po, Paris, 403 p. (voir une note de lecture de Gilles Fumey pour les Cafés géographiques).
  • Laurent Carroué, Didier Collet et Claude Ruiz, 2006, La Mondialisation, Editions Bréal, coll. Capes/Agrégation, Paris, 352 p. (voir une note de lecture de Yann Calbérac pour les Cafés géographiques).
  • Laurent Carroué, 2004, La mondialisation en débat, La Documentation française, coll. Documentation photographique, n°8037, 64 p. (voir le compte-rendu d'un café géographique avec Laurent Carroué autour de la parution de cette Documentation photographique).
  • Christian Grataloup, 2007, Géohistoire de la mondialisation. Le temps long du monde, Armand Colin, coll. U, Paris, 256 p. (voir une note de lecture de Gilles Fumey pour les Cafés géographiques).
  • Olivier Dolfus, 2007, La mondialisation, Presses de Sciences Po, Paris, 3ème édition (1ère édition en 1997).

Des numéros de revues en ligne sur la mondialisation :

Des atlas sur la mondialisation :
  • L'Atlas des mondialisations, La Vie/Le Monde, hors-série n°4, 2010 (voir une note de lecture pour les Cafés géographiques).
  • L'Atlas du Monde diplomatique. Un monde à l'envers, Le Monde diplomatique, Armand Colin, 2009 (voir un article de Philippe Rekacewicz : "La cartographie, entre science, art et manipulation", concernant la parution de l'édition 2006 de cet atlas ; voir également son blog Visions cartographiques).
  • L'Atlas de la mondialisation. Comprendre l'espace mondial contemporain, Presses de Sciences Po, 2010.

Des émissions de radio disponibles à l'écoute :

Pour une bibliographie/sitographie sélective sur la cartographie et les usages de la carte, voir le billet sur la carte-discours.

Voir aussi l'ensemble des billets sur les cartes, les atlas et la cartographie dans le blog Géographie de la ville en guerre.


Structure du nouveau monde du diamant
Source : Roger Brunet, 2005, "Aspects de la mondialisation: la révolution du diamant", Mappemonde, n°78, n°2/2005.



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