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vendredi 15 janvier 2010

Port-au-Prince, géographie d'une ville vulnérable : la catastrophe et la ville



Le récent séisme dans la ville de Port-au-Prince questionne non seulement sur la question des risques, mais également celle de la vulnérabilité des villes face aux catastrophes, non seulement en terme de dégâts matériels, mais également en termes d'acceptabilité au vu de ces dégâts. On avait déjà abordé ces questions dans un billet intitulé "La ville vulnérable : risques et images du risque à Port-au-Prince", suite à l'effondrement d'une école dans la commune de Pétion-Ville, dans la localité des Nérettes, le 7 novembre 2008. Ces quelques éléments sur les vulnérabilités de la ville avait mis en exergue l'interaction entre les sociétés et leur environnement au prisme du risque comme construit social (voir les différentes définitions du risque en géographie).

Le choix d'avoir développé ces réflexions à partir du cas de la ville de Port-au-Prince n'était pas seulement le fait d'un événement médiatisé (l'effondrement de l'école avait provoqué la mort de plus de 90 personnes), mais avant tout parce que Port-au-Prince est synptômatique des vulnérabilités urbaines : capitale d'un pays pauvre en proie à des déchirements violents (voir le billet "Port-au-Prince : la capitale d'un pays sous tension"), Port-au-Prince est une ville-enjeu dans les affrontements politiques et sociaux qui menacent l'équilibre fragile obtenu par le déploiement d'une opération militaire des Nations Unies, la MINUSTAH. "Port-au-Prince est alors en proie à un double mouvement de violences : d'une part, des violences politiques (visant le renversement du gouvernement), d'autre part des violences "ordinaires" (selon la définition de Jérôme Tadié) à travers une guerre de gangs. La principale mission de la MINUSTAH est alors d'enrayer ce cercle vicieux de la violence, afin d'instaurer un climat serein et d'établir un processus durable de stabilisation du pays" (extrait du billet sur "La situation en Haïti").





Le facteur catastrophe du séisme survenu le 12 janvier 2010 ne suffit pas à expliquer l'étendue des dégâts dans la capitale haïtienne. La pauvreté de la ville est l'un des facteurs déterminants, et explique la géographie des destructions dans la ville aux lendemains de la catastrophe. D'une part, du fait de la pauvreté des habitants. Ainsi, la croissance urbaine dans ce pays pauvre s'est doublée d'un afflux de populations que les autorités ne parvenaient pas à gérer, notamment en termes d'habitat. L'entassement de très nombreux habitants dans les bidonvilles (risques sociaux), pour beaucoup construits dans des zones insalubres (risques sanitaires), a fortement accentué la vulnérabilité de la ville face à ce séisme : les habitations des bidonvilles (qu'elles soient en dur ou non) sont non seulement construites avec des matériaux inadaptés aux risques sismiques importants de l'île, mais également elles sont établies sur des zones où le sol est particulièrement meuble, et donc renforce les dégâts lors de catastrophes sismiques (même lors de séismes à l'amplitude bien plus restreinte).






D'autre part, la pauvreté même de l'Etat doit être soulignée : ce ne sont pas seulement les habitations des quartiers pauvres et des bidonvilles qui se sont effondrées, mais bien l'ensemble des infrastructures de la ville. Ainsi, même les infrastructures officielles, telles que le palais présidentiel (les photographies aériennes ci-dessus montrent ce quartier avant et après le séisme. Voir également une photographie du palais présidentiel, derrière la statue du Marron inconnu, symbolisant la fin de l'esclavagisme) sont construites sans précaution des mesures de protection anti-sismique (l'exemple de l'école effondrée en novembre 2008 montre que même des bâtiments publics pouvaient ne même pas tenir compte des normes officielles en termes de réglementation des constructions : voir l'article consacré à cet événement sur le blog Planète Vivante : "Haïti, une fois encore n'est pas épargnée"). De plus, cette dimension se transfère également sur le système éducatif : contrairement à des pays comme le Japon (où des séismes d'une amplitude similaire, qui investissent certes en termes d'infrastructures mais également en termes de formation des populations à la gestion du risque. Il ne s'agit pas de dire que seuls les aspects économiques et sociaux sont responsables de l'étendue des dégâts (bien évidemment la magnitude du séisme et la localisation de l'épicentre sont des facteurs déterminants dans la compréhension des destructions liées à la catastrophe : voir la partie consacrée aux séismes dans les fiches techniques du blog Planète Vivante animé par la géographe Marie-Sophie Bock-Digne), mais de montrer que le risque sismique, alors qu'il est partiellement géré dans les pays développés (systèmes de surveillance performants ; plans de prévention des risques ; équipements adaptés tels que les constructions anti-sismiques ; systèmes d’alerte efficaces ; secours coordonnés et adaptés ; campagnes d’information et de sensibilisation ; forte réglementation des sites classés dangereux), est subi dans les pays pauvres.

Mais la vulnérabilité ne s'exprime pas seulement à l'échelle du pays, ou même d'une ville. Les enjeux de cette approche par les risques sont multiscalaires, et mettent en scène une profonde injustice spatiale (voir notamment les problématiques abordées dans la revue Justice spatiale). Au-delà de l'aspect aléa, les quartiers sont inégalement touchés non seulement par le séisme lui-même, mais également par l'aide humanitaire et sociale qui en découle. Les enjeux de la reconstructions après une catastrophe sont aussi l'occasion d'une mise en scène de l'inégalité de la distribution de l'aide, notamment en termes de reconstruction (les quartiers centraux sont souvent très médiatisés, comme le montre le choix des images par les média sur cette catastrophe, avec une grande focalisation sur les bâtiments centraux : certes, l'aspect sensationnel recherché par les média est plus démonstratif dans l'effondrement de très grands bâtiments, mais également cette focalisation démontre un choix dans les priorités à venir dans le processus de reconstruction : on retrouve là les mêmes risques sociaux abordés dans le cas des reconstructions des villes dans l'immédiat après-guerre, liés à un processus de reconstruction inégalitaire : voir le billet "Les risques de la reconstruction").

Ces risques sociaux de l'immédiat après-catastrophe sont également liés à la question de la distribution de l'aide en termes de vivres, de médicaments et de soins, d'eau potable... Entre la question de l'accessibilité de certains quartiers (du fait de l'effondrement d'infrastructures vitales pour l'accès aux quartiers ou de l'entassement des ruines sur les voies d'accès) et l'inégale mise en priorité de certains quartiers vis-à-vis d'autres, la ville de l'immédiat après-catastrophe est, elle aussi, particulièrement vulnérable : risques alimentaires pour une très grande partie de la population (le manque d'accessibilité pour les avions faisant parvenir l'aide internationale prive la population d'une aide alimentaire plus que nécessaire dans une ville où tous les réseaux de distribution et les centres de stockage ont été détruits ou sont bloqués en termes d'accessibilité), risques sanitaires également (non seulement au vu du manque de soins, du manque de personnels médicaux face à l'ampleur de la catastrophe, du manque de médicaments, mais aussi en termes d'insalubrité dans de nombreuses zones détruites, de problèmes respiratoires au vu du nuage de fumée dégagé par l'effondrement des bâtiments, et des problèmes médicaux liés au manque d'eau potable et d'alimentation. Le bilan de la catastrophe ne se limite donc pas aux seuls morts dans les effondrements.

Par conséquent, comprendre les dimensions spatiales d'une ville qui vient de subir une catastrophe est nécessaire, non seulement pour rendre l'aide humanitaire efficace (les densités de population dans tel ou tel quartier permettent par exemple de procéder à une distribution d'eau, de vivres et de médicaments équilibrée et adaptée aux besoins : voir l'excellent billet sur "L'utilité des images satellites et de la cartographie pour les interventions humanitaires" sur le blog Planète Vivante). Mais l'approche spatiale est aussi un mode de réflexion opératoire pour saisir les risques dans le long terme, notamment en termes de frustrations sociales (personnes restant en attente de retour dans des habitats sécurisés et salubres, personnes déplacées dans des camps de fortune, quartiers défavorisés par l'aide humanitaire et la progression de la reconstruction...) et de détournements politiques de ces frustrations dans le processus de reconstruction de la ville.




A lire sur la question :

* Le blog Planète Vivante qui consacre de nombreux billets sur la géographie des risques, parmi les quels on retrouvera notamment l'excellent billet sur la "Localisation des zones touchées par le séisme à Port-au-Prince (Haïti) 15 janvier 2010" (on reviendra sur la question des conséquences spatiales de cette catastrophe dans un prochain billet) ;

* Le blog L'humanitaire dans tous ses Etats dans lequel on retrouvera de nombreux billets sur la question de l'aide humanitaire déclenchée suite au séisme du 12 janvier 2010 à Port-au-Prince. Ces billets permettent notamment de prendre conscience de la diversité de l'aide nécessaire, depuis l'eau potable, les vivres et les médicaments, en passant par le ramassage des cadavres (pour des raisons sanitaires évidentes), l'aide pour fournir un toit aux survivants...



3 commentaires:

Anonyme a dit…

Bénédicte un grand merci pour cet excellent billet !!! et merci d'avoir cité, une fois de plus Planète Vivante...

PM a dit…

Ce qu'il va être intéressant d'analyser maintenant c'est : comment les organisations et instances internationales s'étaient implantées (localisations et normes d'infrastructures) afin d'être en mesure de réagir face à cet événement : un RETEX intéressant, qui reste à écrire ...
PM, http://gestiondesrisquesetcrises.blogspot.com/

Bonne chance mon papa a dit…

Bonjour, ce com est une relance pour réaliser votre interview dans mon blog ;-)