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dimanche 31 mai 2009

Trafics et frontières au Kosovo


Un article (cliquez sur le texte pour agrandir) paru dans le Balkan Investigate Reporting Network (BIRN) et traduit dans le Courrier des Balkans sous le titre "Trafics et contrebande : les frontières du Kosovo sont toujours poreuses" pose la question du contournement, voire de l'appropriation des frontières par les réseaux criminels au Kosovo. Plusieurs problématiques concernant sont ainsi soulevées :


1/ La question de la frontière
Le tracé entre la Serbie et le Kosovo est une frontière pour les uns (ceux qui reconnaissent l'indépendance du Kosovo) et une délimitation administrative interne à un pays pour les autres (ceux qui reconnaissent l'autorité de la Serbie sur le Kosovo, en dénonçant l'indépendance du Kosovo comme statut illégal). La question de la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo n'est pas seulement une question de rivalités de pouvoir entre des acteurs sur la scène internationale comme sur la scène régionale (balkanique), c'est aussi un problème de mise en place d'une sécurisation de ce tracé : qui doit protéger et contrôler ce tracé (qu'il soit ou non une frontière) ? La question du statut de ce tracé renvoie à la question de la légitimité des acteurs de la sécurisation et du contrôle de cette limite. Et donc à la question de la souveraineté et à ces incertitudes : si une partie de la communauté internationale (dont les Etats-Unis et une grande partie des membres de l'Union européenne) reconnaît aujourd'hui l'indépendance du Kosovo, les velléités de certains membres des Nations Unies sont toujours aussi grandes (Russie, Grèce, Chine, Espagne...). De plus, un certain flou juridique perdure, même parmi les membres reconnaissant l'indépendance, puisque la résolution 1244 (qui mit fin à la guerre du Kosovo en juin 1999 et devait prendre fin lorsque le statut du Kosovo serait décidé) est toujours en place. Au final, sur le tracé entre Serbie et Kosovo, existent 2 lectures : une frontière vs une limite interne. Et cette double lecture se reporte sur l'ensemble des frontières du Kosovo (celles dont le statut de frontière n'est pas remis en cause, c'est-à-dire celles avec un extérieur bien défini : les frontières avec l'Albanie pour la plus ancienne, le Monténégro et la Macédoine pour les plus récentes, c'est-à-dire celles issues de la décomposition de l'ex-Yougoslavie) à travers le problème de la multiplicité d'acteurs susceptibles d'être légitimes/illégitimes pour assurer la protection et le contrôle de ce tracé, en fonction du point de vue adopté : forces de police du Kosovo en tant qu'Etat indépendant, forces de police de Serbie en tant qu'Etat légitime sur le Kosovo, forces de police de la communuaté internationale en tant que forces de stabilisation maintenues dans le cadre de la résolution 1244. Cela renvoie à des problématiques "classiques" de la géopolitique / sciences politiques : qui gouverne(nt) ? quel(s) territoire(s) pour quelle gouvernance ? quelle(s) rivalité(s) de pouvoir entre les acteurs syntagmatiques ?


2/ La question de la criminalité
Autre point soulevé par l'article : la porosité des frontières et les problèmes de transit de marchandises illégales de toutes sortes (drogue, armes, contrefaçons, organes humains, êtres humains...). Le lien entre criminalité et frontière ne pose pas seulement des questions d'ordre géoéconomique (le géographe Christian Pradeau parle de "géofinance" pour démontrer la complexité entre l'intensification de l'effet-frontière comme catalyseur d'échanges et l'intensification des flux matériels/immatériels : voir le chapitre "Géofinance et frontières", Jeux et enjeux des frontières, Presses Universitaires de Bordeaux, Bordeaux, 1994, pp. 241-258). Ce lien criminalité/frontière pose également des questions de rivalité de pouvoir et des questions d'ancrage territorial.

Rivalités de pouvoir, non seulement entre les différents réseaux criminels qui se concurrencent sur certains marchés (les réseaux criminels serbes et la mafia albanaise, mais également les mafias russes et siciliennes qui ne sont pas "implantées" dans les Balkans, du moins pas pour toutes les marchandises, mais se servent des diverses organisations criminelles locales pour faire transiter leurs propres marchandises), mais aussi entre les différents acteurs de la lutte contre la criminalité organisée. Acteurs qui dépassent le cadre des frontières (quelles qu'elles soient !) du Kosovo. Les transits de marchandises illégales ne concernent pas seulement le Kosovo - et plus généralement les Balkans - mais également les autres pays "consommateurs", situés dans l'Europe de l'Ouest. Ces mêmes pays qui sont contributeurs de la sécurisation de la région balkanique à travers les différentes missions miliaires et policières déployées au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine, en Macédoine... Les mises en place de politique et d'actions de lutte contre les réseaux criminels dans les Balkans ne concernent pas seulement les acteurs politiques locaux, mais bien l'ensemble du continent européen. Paradoxalement (ou peut-être pas tant que cela !), les membres de l'Union européenne, qui abolissent dans l'espace communautaire les frontières, tendent à renforcer les frontières des pays périphériques de l'UE. La question des routes de transit pour les marchandises illégales pose donc de nouveau la question de la souveraineté vis-à-vis de la frontière : quels sont les acteurs légitimes pour la sécurisation et le contrôle des marchandises aux frontières du Kosovo ? Le maintien de la résolution 1244, et donc des forces militaires et policières de l'Union européenne au Kosovo, permet ainsi d'assurer un des éléments clés de la politique des Etats contributeurs : la sécurisation de leur propre territoire vis-à-vis de l'afflux de marchandises illégales, en luttant non pas seulement à l'intérieur de leur espace souverain, mais également à l'extérieur, sur les routes des marchandises illégales.



Pour aller plus loin :

Les déplacés au Sri Lanka


La question des déplacés de guerre est une question fondamentale de ces jours-ci pour les populations au Sri Lanka. Face à des combats entre les Tigres (mouvement tamoul indépendantiste) et les forces gouvernementales, de très nombreux civils ont fui leur zone d'habitation pour se réfugier dans des lieux plus sûrs. Voir le billet "La guerre, la ville et les déplacés" (du 17 mai 2009).



La reprise de la guerre en 2008
Pour comprendre la situation au Sir Lanka, les 2 articles de Delon Madavan (doctorant en géographie, dont les travaux de thèse portent sur la minorité tamoule à Colombo, Kuala Lumpur et Singapour) publiés dans la revue de géographie Echogéo sont particulièrement démonstratifs. Son article "Sri Lanka : un pays qui s'enfonce de nouveau dans la guerre" montre combien la position du président Rajapaske (élu en 2005) et celle de M. Prebhakaran (leader du LTTE, "Liberation Tigers of Tamil Eelam", mouvement indépendantiste fondé en 1976) ont entraîné la détérioration de la situation politique, jusqu'au retrait unilatéral du cessez-le-feu (signé en 2002) par le président de Sri Lanka (Delon Madavan, "Sri Lanka : un pays qui s’enfonce de nouveau dans la guerre", EchoGéo, rubrique Sur le vif 2008, 8 avril 2008). Son article "Sri Lanka : de la lutte contre le terrorisme à la catastrophe humanitaire" fait le bilan de la situation au Sri Lanka, un an après la reprise des combats entre les Tigres tamouls et les forces armées gouvernementales (Delon Madavan, "Sri Lanka : de la lutte contre le terrorisme à la catastrophe humanitaire", EchoGéo, Sur le vif 2009, 24 avril 2009).




Une petite chronologie indicative
(d'après Le Courrier International, France 24, Le Point et Le Monde diplomatique) :

- 1948 : indépendance de Ceylan
- 1972 : Ceylan devient le Sri Lanka
- 1976 : dans un contexte de montée du séparatisme tamoul, création du LTTE (organisation des Tigres de Libération de l'Eelam tamoul)
- juillet 1983 : pogrom anti-tamoul à Colombo => émigration massive de Tamouls
- juillet 1987-1990 : présence d'une force de maintien de la paix indienne
- 1990-1995 : les Tigres tamouls (LTTE) prennent le contrôle de Jaffna
- 1995-2001 : repli des LTTE dans le Wanni (nord) => multiplication des attentats-suicides
- 2002-2007 : différentes périodes de trève ; échecs des diverses négociations diplomatiques entreprises sur la scène internationale ; attentats et enlèvements
- 2007 : le gouvernement met la main sur plusieurs repaires des Tigres, dans l'ouest de l’île
- 2008 : le gouvernement annule le cessez-le-feu en janvier et lance une offensive d'envergure

En 2009 :
- 2 janvier : les troupes s’emparent de la capitale proclamée des Tigres tamouls, Kilinochchi
- 17 avril : les rebelles appellent à une trêve de deux jours. Craignant une ruse, le gouvernement refuse
- 20 avril : le Sri Lanka donne aux rebelles 24 heures pour se rendre, alors que des dizaines de milliers de civils fuient la zone de combats => 115.000 déplacés en une seule semaine
- 26 avril : les Tigres déclarent un cessez-le-feu unilatéral => les autorités du Sri Lanka parlent d'une "plaisanterie" et demandent la reddition du LTTE
- 16 mai : les militaires prennent le contrôle de toute la ligne de côte, une première depuis le début de cette guerre. Lors d'un sommet des pays en voie de développement organisé en Jordanie, le président Mahinda Rajapaksa affirme que le LTTE a été vaincu militairement, bien que des combats aient encore lieu
- 17 mai : plus de 70 combattants du LTTE sont tués alors qu'ils essaient de s'enfuir en bateau. Plusieurs se font exploser pendant que l'armée fait en sorte d'éliminer toute résistance. Les militaires déclarent que tous les civils sont libérés. L'armée sri-lankaise affirme que le dirigeant et fondateur du LTTE, Velupillai Prabhakaran, est mort.

Dans ce contexte, la question des déplacés est plus que prégnante, et préoccupe non seulement les autorités internes, mais également les institutions internationales.












La question des déplacés

La fin des combats ne signifie pas pour autant la fin de la guerre comme agent de restructurations sociospatiales : en d'autres termes, l'immédiat après-guerre ne correspond en rien à une situation de retour à la paix, mais bien à une période transitoire dans laquelle les conséquences de la guerre sont particulièrement prégnantes, avec pour fond deux questions : qui gouverne les territoires ? quelles modalités de gestion pour les acteurs (officiels ou officieux) sur ces territoires de l'immédiat après-guerre ? La question des déplacés est particulièrement révélatrice de ces problématiques, comme le montre le cas du Sri Lanka.

Aujourd'hui, on estime à 250.000 le nombre de déplacés par la guerre au Sri Lanka (voir le site du CICR), regroupés dans une vingtaine de camps. La question des camps pose celle de la souveraineté : les camps (de déplacés ou de réfugiés) échappent pour la plupart à la souveraineté de l'Etat dans lequel ils sont installés. C'est d'autant plus problématique dans le cas des camps de déplacés, où les ONG et la communauté internationale "prennent le pas" de l'Etat pour venir en aide à des populations qui relèvent de l'Etat en question. Autres problématiques : celles relevant de la question des mobilités. D'une part, les déplacés du Sri Lanka sont des déplacés forcés, qui n'ont pas eu le temps de préparer leur départ, mais surtout leur arrivée. D'où la solution de l'urgence quant au lieu d'accueil. D'autre part, les conditions de (sur)vie dans un camp de déplacés sont d'autant plus difficile que le pays est pauvre et que le nombre de déplacés/réfugiés est important. Globalement, moins d'argent disponible pour entretenir chaque camp. Les conditions de vie dépendent donc, en grande partie, de l'aide internationale. Et de ce fait des financements - très fluctuants - des ONG. Et donc de la mobilisation de l'opinion publique internationale pour une région donnée. Les camps de déplacés du Sri Lanka placent donc la question des déplacés dans une situation d'urgence, puisque la pérennité des camps de déplacés ne peut être assurée (non seulement parce qu'il s'agit toujours d'une solution provisoire, mais surtout parce que leur financement est très limité dans le temps : voir le billet "Les médias, la violence, l'événement et le haut-lieu" du 8 avril 2009). Dans le même temps, la solution du camp placent les déplacés dans une situation d'enfermement (voir, à ce propos, le dossier "Espaces d'enfermement, espaces clos", Cahiers ADES, n°4, 2009 ; ainsi que les travaux de l'anthropologue Michel Agier) et donc de précarisation par une mise à distance vis-à-vis du reste de la société sri lankaise.








La gestion des risques (notamment sanitaires, mais aussi sociaux) quant aux déplacés se différencie en fonction des lieux considérés. L'action humanitaire et politique doit être ainsi menée à la fois dans les lieux de départ (pour permettre le retour de ceux qui le souhaitent), dans les lieux d'installation temporaire (pour empêcher une dégradation rapide des infrastructures et une marginalisation accrue des populations ainsi isolées, voire enclavées) et dans les lieux d'installation définitive (que ce soit les lieux de départ ou d'autres lieux que le lieu d'origine, notamment dans le cas des villes d'accueil qui peuvent être fragilisées par un afflux massif de déplacés). Dans chacun de ces lieux, les risques sont très importants : risques sanitaires (mauvaises conditions de vie, installation dans des espaces vides parfois insalubres, accès aux soins médicaux très limités...) , risques sociaux (tensions entre les déplacés entassés dans des espaces restreints, tensions entre les déplacés et les anciens occupants dans les quartiers périphériques des villes-refuges qui se densifient exponentiellement...), risques économiques (paupérisation de certains lieux d'accueil, problème de financement de gestion des lieux d'accueil, risques de criminalisation de certains lieux d'accueil...), risques politiques (tensions entre les différents acteurs de l'aide humanitaire, remise en cause de la légitimité et/ou de la souveraineté des autorités locales officielles dans certaines zones...). De plus, plus la solution temporaire (que ce soit dans un camp de déplacés ou dans un "scouat") s'ancre dans le temps, plus la question de la réinsertion des populations déplacées (que ce soit dans leur lieu d'origine ou dans un autre lieu) est complexe. C'est pourquoi, la question des déplacés de guerre est particulièrement préoccupante, puisqu'elle dépasse largement le "seul" temps de la guerre (c'est-à-dire des combats à proprement parler).



A consulter sur ces questions :

  • La revue électronique Grotius, réunissant des articles sur la thématique média & humanitaire. La revue est très récente, mais les contributions laissent présager une plate-forme qui permettra de confronter les différents points de vue, entre chercheurs, journalistes et acteurs de l'humanitaire.



dimanche 17 mai 2009

La guerre, la ville et les déplacés


La question des déplacés se pose tout autant dans la ville-refuge que dans la ville-cible. Pour la ville-refuge (c'est-à-dire la ville épargnée par les combats qui s'érige en sanctuaire, en havre de paix), le lien entre cette "sanctuarisation" de la ville et l'arrivée massive de déplacés (mais également de réfugiés, traversant les frontières, comme le montre le cas d'Abéché à l'Est du Tchad qui accueille de nombreux réfugiés du Soudan voisin) paraît relativement évident. Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer le fait que ce phénomène se développe également dans la ville-cible. D'une part, la ville garde son attraction malgré la guerre. La ville peut être un relais (plus ou moins temporaire) dans le déplacement. La ville (tout particulièrement la très grande ville) peut également garder son attractivité face à un exode rural qui se poursuit ou qui se renforce pendant la guerre (surtout si la zone de combat ne se limite pas à la ville). D'autre part, des déplacements peuvent se faire à l'intérieur de la ville, renforcés par les actions miliciennes. La logique de peur provoque chez les habitants d'une ville des stratégies de survie qui les pooussent à abandonner leur domicile pour se rendre dans des lieux jugés plus sûrs. Cette recherche de la sécurité est dictée par 2 principales logiques : l'entre-soi communautaire (la peur de se retrouver en situation de minorité dans un quartier tend à reforcer l'homogénéisation communautaire dans la ville) et la fuite de la zone ou des zones de combat à l'intérieur de la ville.



Déplacés forcés / déplacés contraints

La géographe Liliane Barakat (professeur à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth) propose une typologie des plus intéressantes sur les déplacés pendant une guerre, en analysant le cas particulier des villes libanaises, dans son article "Lieux d'origine et zones d'accueil" (Annales de Géographie, année 1989-1990, volume 10-11, Université Saint-Joseph, Beyrouth, pp. 69-78). Dans cet article, elle distingue déplacés forcés et déplacés contraints dans le cas de la guerre au Liban (cliquez sur le texte pour l'agrandir). Dans les deux cas, ces déplacements répondent à des stratégies de survie, mais impliquent des lieux d'accueil différenciés. L'article de Liliane Barakat démontre bien que les conséquences pour la ville d'accueil ne dépendent pas seulement du lieu d'origine des déplacés et de leur situation socio-identitaire, mais également des conditions de leur départ. Les déplacés dans la guerre agissent donc en fonction de deux types de contraintes qui s'expliquent par des rythmes différents.



Les déplacés contraints

Ce sont des personnes qui prennent le temps de préparer leur départ. Dans le contexte de la guerre, elles ressentent leur insécurité et la fragilité de leur situation. Elles quittent leurs maisons soit parce qu'elles se situent à proximité d'une zone de combats (et donc anticipent le déplacement de la zone de combats), soit parce qu'elles sont en position de minorité dans leur lieu de vie (et donc anticipent les violences pratiquées par les milices contre "l'Autre", quelque soit la façon de définir l'identité et les minorités). Si le traumatisme de la fuite et de l'abandon de sa maison (territoire de l'intimité par excellence) n'est pas moins grand que dans le cas des déplacés forcés, les déplacés forcés peuvent néanmoins prendre des affaires, réunir leurs richesses (financières mais aussi affectives) avant leur départ. Selon les situations sociales, les déplacés contraints peuvent soit gérer eux-mêmes leurs logements dans la zone d'accueil, soit faire appel à un réseau de soidarité (le plus souvent familial). Ils peuvent donc se retrouver dans des quartiers très différents de la ville d'accueil. Néanmoins, l'important pour eux est de s'installer dans une zone où ils se sentiront en sécurité : le lieu d'accueil correspond également à leur perception de l'insécurité dans la zone d'accueil. Une fois déterminée la zone de destination (une ville, une région), les déplacés contraints prennent le temps de choisir (au moins dans leurs intentionnalités, bien que la situation sociale de certains ne puissent réellement leur permettre de réaliser ce choix) le lieu plus précis de leur installation (un quartier, voire un micro-quartier) en fonction du degré de dangerosité (réel ou perçu) que représenterait cette nouvelle installation.



Les déplacés forcés

Ce sont les personnes qui fuient leur habitation dans une situation d'urgence. Bien que le départ corresponde là aussi à des logiques de peur et à des stratégies de survie, il se fait sans que les déplacés n'aient le temps de prendre leurs affaires (abadonnant richesses financières et affectives) ou de préparer leur arrivée. Si certains de ces déplacés peuvent être accueillis dans leur famille, la plupart doivent faire face à une absence de logement. La ville-refuge est fragilisée par l'arrié massive de ces déplacés et ne peut mettre en place une politique de construction de logements face à la situation d'urgence. La ville-cible est encore plus mal lotie, dans la mesure où une partie de ses logements d'avant-guerre est détruite, et qu'elle doit parallèlement faire face à un afflux de population. Et dans tous les cas, les déplacés forcés s'installent dans des conditions trè difficiles : baraques de fortune dans les périphéries de la ville (d'où une bidonvilisation de ces périphéries), logements partiellement détruits dans des zones proches des combats (dans le cas de la ville-cible)...




=> La question des déplacés est l'un des plus grands enjeux de l'immédiat après-guerre en termes psychologiques (traumatismes), de gestion urbaine (paupérisation de certains quartiers, entassement des populations dans de petits logements, habitat illégal, problème d'accès au mrché du travail pour ces nouveaux arrivants...), de rivalités de pouvoir (le pouvoir en place dans l'immédiat après-guerre est souvent rapidement fragilisé par cette question)...


lundi 11 mai 2009

Géographie des conflits récents : quelques articles


Plusieurs revues et blogs proposent des analyses des plus pertinentes sur les conflits qui se déroulent actuellement. Voici une liste (loin d'être exhaustive !) présentant des situations de guerres en cours ou d'immédiats après-guerres.



Sur Echogéo :

Cette revue de géographie présente, à côté de ces numéros thématiques, une rubrique des plus intéressantes, intitulée "Sur le vif", dans laquelle les auteurs analysent des moments d'actualité. Les situations de conflits y sont particulièrement bien analysées (les résumés présentés ici sont ceux des auteurs).


Delon Madavan, "Sri Lanka : de la lutte contre le terrorisme à la catastrophe humanitaire", EchoGéo, Sur le vif 2009, 24 avril 2009.
"La volonté du gouvernement sri lankais d’en finir militairement avec le LTTE a abouti à une catastrophe humanitaire. L’armée et les Tigres se rendent coupables de crime de guerre et de crime contre l’humanité à l’encontre des civils tamouls, qui sont piégés dans la zone de combat ou enfermés dans des camps de détention. La perception différenciée de l’opération militaire selon les communautés nécessiterait la création d’un Tribunal Pénal International pour Sri Lanka."


Julien Thorez, "Géorgie-Ossétie-Russie. Une guerre à toutes les échelles", EchoGéo, Sur le vif 2009, 13 février 2009.
"En août 2008, le Caucase a été le théâtre d’une guerre opposant la Géorgie à la Russie, à l’issue de laquelle la Russie a décidé de reconnaître la souveraineté de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, régions sécessionnistes géorgiennes indépendantes de facto depuis le début des années 1990. Déclenchée par le président géorgien M. Saakachvili, cette guerre a découlé de la superposition dans le Caucase d’aspirations géopolitiques contraires. L’article aborde les enjeux de ce conflit selon une approche multiscalaire, en mettant en perspective les aspirations séparatistes abkhazes et ossètes, la politique d’unification et de modernisation de l’Etat Géorgien, la complexité de la relation post-coloniale entretenue par la Russie et la Géorgie et les rivalités géopolitiques internationales inscrites dans les réalités caucasiennes".


Jean-François Legrain, "Pour une autre lecture de la guerre de Gaza", EchoGéo, Sur le vif 2009, 13 février 2009.
"En décalage avec les idées reçues habituellement, l'Auteur propose une relecture de l'offensive l’armée israélienne dans la bande de Gaza (27 décembre 2008-21 janvier 2009) tant des justifications de son déclenchement avancées par le gouvernement israélien que sur l’approche de son bilan menée en termes de victoire palestinienne. Considérant qu'elle s'inscrit dans une logique israélienne consistant à tout mettre en œuvre pour repousser sine die tout accord sur le fond avec les Palestiniens, il suggère que la force réelle ou alléguée de Hamas est utilisée par le gouvernement israélien pour justifier auprès de la communauté internationale en termes de lutte contre le terrorisme une politique en réalité visant à détruire toute institutionnalisation du nationalisme palestinien".


Roland Pourtier, "Le Kivu dans la guerre : acteurs et enjeux", EchoGéo, Sur le vif 2009, 21 janvier 2009.
"La guerre en RDC témoigne du réveil d’une guerre qui couvait depuis des années. Au-delà des réactions émotionnelles que suscitent les images, toujours recommencées, des victimes civiles fuyant les zones de combat, les pillages et les viols perpétrés par toutes les forces armées impliquées dans le conflit ou celles du recrutement forcé d’enfants soldats, se posent des questions de fond. Quels sont les acteurs d’un conflit dont la durée et les rebondissements après chaque phase d’accalmie signifient qu’il est l’expression de tensions structurelles ? Enchâssé dans l’entité géopolitique des Grands Lacs, le Kivu est partie prenante, d’un système régional de conflits. La guerre qui s’y déroule constitue une sérieuse entrave à la reconstruction de la RDC, et une menace pour la stabilité de toute la région : aujourd’hui plus que jamais le Kivu est la poudrière de l’Afrique Centrale. Cet article est un état des lieux et des enjeux d’un conflit ancien qui connaît depuis janvier 2009 une certaine accalmie, mais pour combien de temps ? Quels en sont les acteurs internes ? Quelles sont les forces externes qui interfèrent dans un conflit nourri de facteurs aggravants qui participent à la fois de la dialectique ethnique, des intérêts économiques contradictoires et d’une situation démographique caractérisée par des densités élevées".


Daniel Pécaut, "La « guerre prolongée » des FARC", EchoGéo, Sur le vif 2008, 15 décembre 2008.
"Alors que les FARC n’ont été au départ qu’un petit groupe de résistance paysanne, leur implication croissante dans l’économie de la drogue leur a permis à partir de 1980 de se transformer en une puissante organisation implantée dans une grande partie du territoire et capable de mener d’importantes opérations offensives contre le régime. Leur repli actuel tient moins au succès des forces armées qu’aux actions de terreur paramilitaires et à leur incapacité à construire une stratégie politique crédible".


Pierre-Arnaud Chouvy, "L’échec mondial de la lutte antidrogue : quelles leçonspour l’Afghanistan ?", EchoGéo, Sur le vif 2008, 4 novembre 2008.
"L’Afghanistan a vu sa production d’opium doubler entre 2002 et 2008, malgré un changement de régime à Kaboul, le soutien politique et l’aide politique et économique de la communauté internationale, et l’adoption de diverses mesures antidrogue. L’histoire du contrôle international des drogues en Asie est riche d’autres nombreux échecs de la lutte antidrogue et témoigne aussi de quelques succès. Autant de leçons dont les autorités afghanes et la communauté internationale pourraient s’inspirer à l’avenir".


Parmi les articles plus anciens, on trouve également des analyses (par ordre décroissant de la date de publication de fin 2008 à fin 2007) sur :

Cette revue de géographie est désormais éditée sous version électronique (depuis 2004). Chaque numéro présente des articles sans thématique, mais la version électronique propose une rubrique "Les dossiers" dans laquelle on retrouve un index de tous les articles concernant la Syrie et le Liban (à consulter notamment pour les nombreuses analyses sur la ville de Beyrouth par exemple sur les quartiers illégaux et la croissance urbaine, ou sur les destructions de la guerre de l'été 2006, la position géostratégique de la Bekaa, les territoires du vote au Liban...).


Parmi les articles récents, on pourra consulter notamment :

Vincent Capdepuy, "Grand Moyen-Orient - Greater Middle East. Le lieu d'un moment", Mappemonde, n°93, n°1-2009.
"Au moment de son lancement en 2004 par le gouvernement Bush, l’«Initiative pour un Grand Moyen-Orient» a attiré de nombreuses critiques, dans le monde arabe comme en Europe. L’espace englobé sous ce terme semblait trop vaste, trop hétérogène. Pourtant la notion est plus ancienne qu’on voulait bien le croire alors. Le Grand Moyen-Orient n’est pas une nouvelle hypostase inventée par des géostratèges états-uniens, mais plus simplement une notion floue, utilisée depuis la fin des années 1970 et fluctuant au gré des changements géopolitiques. En 2004, il s’agissait avant tout d’une notion de circonstance permettant de cadrer un programme politique de soutien au développement des sociétés musulmanes, de l’Atlantique à l’Afghanistan. Depuis, la notion, synonyme pour beaucoup de Moyen-Orient élargi, a quasiment disparu".


Nathan Robinson Grison, "Russie et Géorgie : enjeux territoriaux dans le Caucase", n°91, n°3-2008.
Une analyse proposée dans la rubrique "Ces lieux dont on parle".



Sur Culture & Conflits :

Bien évidemment, la revue Culture & Conflits propose de très nombreuses analyses sur la question des guerres en cours ou les conséquences de guerres récentes. A noter les travaux sur la Côte d'Ivoire de Michel Galy :
Sur les blogs :

La liste ne pourrait être exhaustive, mais quelques billets de ces derniers jours méritent d'être soulignés :

samedi 9 mai 2009

L'immédiat après-guerre à Grozny (vu depuis la Russie)


La Tchétchénie a longtemps été perçue comme "le bourbier russe". Haut-lieu de la contestation interne face au renouveau de la puissance russe (on consultera, à cet égard, les billets du blog collectif Alliance géostratégique, dont le thème du mois est consacré à "la Russie, puissance résurgente", mai 2009), la ville de Grozny n'est pas seulement en proie au défi de la reconstruction : c'est également un enjeu politique très important pour la Russie. Quelques éléments de réflexion (qui mériteraient d'être plus longuement développés) sur la question de la Tchétchénie et de la puissance en Russie.



La Tchétchénie : une remise en cause de la puissance russe ?

Le schéma ci-contre représente les différents facteurs associés "traditionnellement" à la question de la puissance :
1/ territoire
2/ population
3/poids militaire et économique
4/ rayonnement culturel.




Une remise en cause de la souveraineté étatique sur le territoire russe

La rebellion tchétchène s'appuie sur des revendications séparatistes. Depuis 15 ans, la Tchétchénie est en proie aux guerres et à la guérilla. Pourtant, la remise en cause de la souveraineté russe sur ce territoire n'a pas été l'objet d'une intervention de la communauté internationale. Certes, l'action militaire de la Russie en Tchétchénie a souvent été condamnée, mais l'action de la communauté internationale s'est limitée à ces condamnations. La Russie reste une puissance politique, militaire et diplomatique qui pèse sur la scène internationale, au point qu'aucune intervention militaire n'a jamais été envisagée. La Russie, malgré un poids moins important que celui de l'URSS, pèse encore sur la scène internationale, suffisamment pour que ces "affaires" internes restent de son seul ressort.

La question de la Tchétchénie pose à la fois celle du contrôle du territoire et celle de la question des nationalités. Nénamoins, le cas de la Tchétchénie cache le rétablissement d'une stabilité et d'une souveraineté étatiques sur la plus grande partie du territoire, au tournant des années 2000. Le seul cas de la Tchécthénie n'a pas réussi à remettre en cause le contrôle territorial dans le reste de la Russie. Il semble donc qu'il y ait des foyers de tension, des sortes de "poches" où se développent des contestations, sans que celles-ci ne puissent s'étendre sur le reste du territoire, ou même dans les régions voisines, qui pourtant sont confrontées au même problème de nationalités : "dans le reste du Nord Caucase, la peur d'être entraînés dans un tel conflit, le rejet de l'islamisme radical, l'acceptation de la présence russe (notamment par les non-musulmans), de même que le mépris affiché par les Tchétchènes envers ceux qui acceptaient sans résister la domination russe ont suffi, jusqu'ici, pour que les peuples voisins ne s'engagent pas dans ce gouffre" (Jean Radvanyi et Gérard Wild, "La Russie entre deux mondes", Documentation photographique, n°8045, 2005, pp. 30-31). Il ne faut pas, cependant, sous-estimer la situation en Tchétchénie, comme dans le reste du Nord-Caucase : la région est extrêmement pauvre, le chômage y atteint des taux records, les conditions de vie sont déplorables (taux de mortalité infantile très élevé, état sanitaire très dégradé), autant de sources de tensions sociales qui pèsent sur la stabilité de cette région.

La Tchétchénie peut réellement être considérée comme la "mauvaise conscience russe" (expression de Jean Radvanyi et Gérard Wild, "La Russie entre deux mondes", Documentation photographique, n°8045, 2005, pp. 30-31), ce qui donne plus de poids à l'arrêt des opérations dites anti-terroristes menées en Tchétchénie annoncé le 16 avril 2009 : si les Russes s'opposent en grande majorité à l'indépendance de la Tchétchénie, la guerre n'est pas la solution la plus adéquate à envisager pour l'opinion publique. De plus, il s'agit la d'un important "coup de force" diplomatique pour la Russie, qui ne pourra plus s'entendre contester son action en Tchétchénie sur la scène internationale. Enfin, la lassitude face à la pérennité du conflit se fait sentir également du côté de la grande majorité de la population tchétchène : "la population du Caucase semble, comme en Tchétchénie, aspirer aujourd'hui à la paix et à une vie normale" (Michel Nazet, La Russie et ses marges : nouvel empire ?, Ellipses, collection CQFD, Paris, 2007, p. 158). La politique menée par le gouvernement de Moscou va pouvoir s'appuyer sur la profonde division qui affecte depuis quelques années la société tchétchène : "si une large partie de la population n'aspire plus qu'au retour à la paix, fût-ce dans le cadre de l'autonomie imposée par Moscou, de nombreux jeunes rejoignent les groupes armés de la résistance, partisans d'un islamisme radical, jusque dans les actions terroristes les plus insupportables" (Jean Radvanyi et Gérard Wild, "La Russie entre deux mondes", Documentation photographique, n°8045, 2005, pp. 30-31). Un contexte favorable pour mettre fin à cet "embourbement", et une décision politique interne (tant vis-à-vis de la population tchétchène que de l'opinion publique dans le reste de la Russie) et extérieure (vis-à-vis de la communauté internationale et du poids diplomatique résurgent de la Russie). On est donc passé de l'échec en 1994 d'une démonstration de la puissance russe (avec la Première guerre de Tchétchénie) à un renouveau de la puissance russe sur plusieurs plans, à la fois à l'intérieur du pays (malgré le fait que les 2 guerres de Tchétchénie soient considérées comme des échecs militaires face à cet "embourbement", la Tchétchénie n'a pas obtenir l'indépendance souhaitée par les "rebelles") et à l'extérieur du pays (la puissance d'un Etat est aussi liée à son rayonnement culturel, et la situation en Tchétchénie "entâchait" celui de la Russie).



La question des frontières en Russie : entre sécurisation et coopération

La question de la Tchétchénie, en tant que région où des mouvements séparatistes remettent en cause l'intégrité du territoire russe, pose la question des frontières. Si l'attention concernant ce problème est souvent focalisée sur la région du Caucase (entre un Nord-Caucase où la question des nationalités est très prégnante et un Sud-Caucase indépendant qui est entré dans un "rapport de force" avec le gouvernement de Moscou), elle ne peut résumer la totalité de la problématique. Bien évidemment, le redécoupage issu de l'implosion de l'URSS a entraîné un "reformatage" des frontières : en 1991, la Russie fut ainsi ramenée à ses frontières de 1683 sans l'Ukraine orientale, mettant ainsi fin à 3 siècles d'expansion territoriale (l'expasion maximale fut atteinte en 1953, au moment de la mort de Staline). Cette région met parfaitement en exergue le rôle très symbolique de la frontière pour les Etats issus de l'URSS et récemment indépendants, et ainsi leur volonté de consolider leur existence et la souveraineté de l'Etat nouvellement créé. D'où un renforcement de ces nouvelles frontières (autrefois des limites administratives au sein de l'URSS, devenues de véritables lignes politiques, avec une forte valeur juridique), qui se traduit parfois par leur matérialisation (avec des postes de contrôle visibles de loin, par exemple). Dans ces régions (Caucase, Pays Baltes, Ukraine et Asie centrale), la frontière a un rôle hautement politisé (qui prend parfois bien plus d'importance que les bénéfices d'échanges économiques).

Néanmoins, la question de la frontière pour la Russie ne se limite pas à ces exemples, mais s'ils en font partie intégrante. Toutes les frontières de la Russie (environ 13.000 km) n'ont pas la même "fonction" : si certaines sont l'objet de tensions, la coopération se développe également sur d'autres frontières, notamment dans la partie asiatique de la Russie. La "valeur" de la frontière prend une signification toute particulière en fonction de son origine (issue ou non de la "perte territoriale" suite à la décomposition de l'URSS), et ce autant du point de vue russe que du point de vue de l'Etat voisin (nouvellement indépendant ou non).







Texte : Les éléments de la puissance russe (cliquer dessus pour agrandir)

Extrait de Pascal Marchand, Atlas géopolitique de la Russie. Puissance d'hier, puissance de demain ?, Autrement, collection Atlas/Monde, Paris, 2007, 80 pages.





Ce billet fait suite à deux autres billets sur la Tchétchénie et l'arrêt des opérations militaires russes :

- "Guerre et guérillas urbaines en Tchétchénie", billet du 17 avril 2009.
- "L'immédiat après-guerre à Grozny (vu depuis la Tchétchénie)", billet du 8 mai 2009.



Adhésion du Kosovo au FMI


"Le Fonds monétaire international (FMI) a approuvé vendredi [8 mai 2009] l'intégration du Kosovo qui deviendra le 186e membre de l'organisation, un peu plus d'un an après sa déclaration d'indépendance" (Source : "Le FMI accepte l'adhésion du Kosovo, futur 186e membre", Reuters, 9 mai 2009).

L'adhésion du Kosovo au FMI contraste avec la non-reconnaissance de l'indépendance par la plupart des membres des Nations Unies : aujourd'hui, seuls 58 Etats ont reconnu officiellement cette indépendance, soit 1/3 des Etats membres de l'ONU. 1/3 s'est abstenu de prise de position. Mais le dernier 1/3 s'oppose farouchement à la reconnaissance de cette indépendance, parmi lesquels bien évidemment la Serbie, mais également des pays voisins (Roumanie, Bulgarie, Grèce) qui "renforcent" le nombre de pays membres de l'Union européenne ne s'accordant pas avec la position de la majorité des Etats membres (Espagne), des puissances économiques et/ou militaires (parmi lesquels on compte la Russie et la Chine), et également des pays plus "lointains" (Venezuela). Voir .

Ce contraste entre des Nations Unies qui peinent à s'accorder sur le statut actuel du Kosovo et un FMI qui a reconnu très rapidement cette indépendance, s'explique principalement au travers de la répartition du droit de vote au sein de ces différentes institutions. Les Etats-Unis et la plupart des Etats membres de l'Union européenne qui ont reconnu rapidement cette indpendance constituent la plus grande partie des droits de vote au sein du FMI. Ce qui n'est pas le cas à l'Assemblée générale de l'ONU où chaque pays membres possède une voix équivalente aux autres. Deux visions du Monde se construisent donc à travers cette répartition des votes : l'une, celle du FMI, où la reconnaissance du Kosovo est désormais établie ; l'autre, celle de l'ONU, où la reconnaissance du Kosovo est sujette à de nombreuses tensions, et reste aujourd'hui en suspens (en témoigne le maintien de la résolution 1244, qui mit fin à la guerre du Kosovo et devait s'arrêter le jour où le statut final du Kosovo serait déterminé).

Pour le Kosovo, cette adhésion au FMI est d'une importance majeure : d'une part, en termes économiques, puisque le Kosovo peut désormais bénéficier des aides financières et des prêts mis en place par le FMI, fait primordial pour un Etat si pauvre, aujourd'hui boycotté par bon nombre des Etats voisins, refusant son indépendance. La Serbie a mis en place un dispositif empêchant non seulement les produits du Kosovo de se vendre en Serbie, mais également de simplement transiter par le territoire serbe, ce qui pénalise les échanges, dans un Kosovo qui possède peut de richesses (on entend là la différence essentielle entre les ressources - notamment en termes de ressources minières - du Kosovo qui, n'étant pas utilisées - le complexe industrialo-minier de Trepca est fermé depuis la fin de la guerre - ne constituent pas des richesses). D'autre part, en termes politique, cette adhésion témoigne du soutien des Etats-Unis et de la plupart des Etats membres de l'Union européenne dans la reconnaissance du Kosovo.



A lire :
  • Sur la reconnaissance du Kosovo par les Etats membres des Nations Unies, voir sur ce blog le billet "Le Kosovo vu par..." du 24 avril 2009.
  • Pour comprendre simplement et rapidement le rôle, les attributions et les moyens dont disposent le FMI, voir le billet "FMI : quel rôle dans la crise ?", blog Planète Vivante, 2 avril 2009.

vendredi 8 mai 2009

L'immédiat après-guerre à Grozny (vu depuis la Tchétchénie)


Le jeudi 16 avril 2009, la Russie a annoncé la fin de la guerre en Tchétchénie (voir le billet "Guerre et guérilla urbaines en Tchétchénie" du 17 avril 2009), avec l'arrêt des opérations dites "anti-terroristes". Ce qui met fin -du moins en théorie - à 10 ans de conflit. Moins d'un mois après cette annonce, on peut se demander ce que représente cet "après-guerre" pour la Tchétchénie, en quoi cela affecte les habitants de la ville de Grozny. Bien évidemment, l'arrêt des combats entre les forces armées russes et les forces dites "rebelles" tchétchènes. Mais aussi tous les défis de la reconstruction. Et force est de constater qu'après 15 ans de conflits (entre guerres et guérillas urbaines), la destruction du bâti n'est pas le seul défi qui se pose (voir François Nodé-Langlois, "Drôle d'après-guerre en Tchétchénie", Le Figaro, 4 mai 2009).




Grozny, un espace de vie : la reconstruction vue par les Tchétchènes
Le paysage socioculturel de la Tchétchénie a été profondément bouleversé par les différentes périodes de guerre et de guérilla, depuis 1994. Les évolutions dépongraphiques témoignent parfaitement de ces évolutions, avec lesquelles doivent composer aujourd'hui les acteurs de la reconstruction (entendue au sens large, et pas seulement pour la question du bâti, bien que celle-ci soit, sans contestation, une priorité !). Tout d'abord, les deux guerres (Première guerre de Tchétchénie en 1994-1996 et Deuxième guerre de Tchétchénie depuis 1999) ont bien évidemment eu de forts impacts sur les taux de natalité et de mortalité pour la population tchétchène. Si ces conséquences sont difficiles à évaluer en termes de chiffres, elles n'en sont pas moins réelles et pèsent aujourd'hui dans l'effort de reconstruction. Autre point : les déplacés/réfugiés qui ont fui les combats. Avec le départ de la plus grande majorité des non-Tchétchènes, et tout particulièrement à Grozny (en 1994, la Tchétchénie était peuplée d'environ 1,3 million d'habitants dont 53 % de Tchétchènes, 12 % d'Ingouches et 29 % de Russes). Ces populations ne reviendront pas en Tchétchénie, et constituent une perte à la fois en termes de diversité socioculturelle, mais également en termes économiques (en ce qui concerne la population russe qui vivait en Tchétchénie, son départ représente la perte d'une part importante de l'intelligentsia et des investisseurs économiques). De plus, la Deuxième guerre de Tchétchénie s'est rapidement transformée en guérilla urbaine : les rebelles tchétchènes s'appuyaient sur leur mobilité, leur rapidité d'action, leur parfaite connaissance du terrain, le soutien de la population locale... Le conflit entre rebelles tchétchènes et forces armées russes s'ancrant dans le temps et dans la ville de Grozny, beaucoup des habitants de cette ville l'ont quitté temporairement (au moins aux plus forts moments des affrontements) pour se réfugier dans les montagnes de la Tchétchénie. De ce fait, la ville de Grozny ne doit pas seulement faire face aux innombrables destructions dans la ville, elle a également fonctionné "au ralenti" d'un point de vue économique, et fait face aujourd'hui à une situation désastreuse, alors même que les investissements pour la reconstruction devraient être massifs. Première question : celle des logements. Comme dans toute ville de l'immédiat après-guerre, la ville de Grozny ne possède pas assez de logements pour accueillir toute sa population, entre ceux restés sur place et ceux revenant des montagnes. La destruction des logements cache un autre problème : celui des "scouats" et de la propriété des biens immobiliers. Pendant la guerre, les habitants restés dans Grozny ont dû, pour beaucoup, abandonné leur propre logement (soit détruit entièrement ou partiellement, soit parce que situé dans une zone occupée par les combattants), et se sont parfois installés dans d'autres logements, laissés vacants par des habitants ayant fui la ville. La question de la propriété et du droit au logement dans les villes de l'immédiat après-guerre est un problème social crucial, trop souvent oublié, mais pourtant source d'importantes tensions entre les habitants. A qui appartient le droit d'habiter dans tel ou tel logement ? Les anciens occupants (propriétaires ou locataires) ou les "nouveaux" occupants ? Cette situation est d'autant plus crisogène que le nombre de logements détruits est important.



Source : "L'enfer de Grozny (1994-2000)", Les cahiers du RETEX, CDEF-DREX, 2006, p. 47.

"Comme le montre le schéma ci-dessus, les Tchétchènes bloquèrent toutes les portes et fenêtres des premiers étages des bâtiments, rendant quasi-impossibles l’accès et le déplacement dans un immeuble. Pendant qu’ils essayaient de grimper sur des échelles ou de forcer les portes, les soldats russes devinrent la cible des tireurs tchétchènes positionnés dans les étages supérieurs".



Bien évidemment, les problèmes de cet immédiat après-guerre sont également économiques : coût de la reconstruction des logements et des infrastructures, réhabilitation d'une économie durable, éducation à rebâtir pour former la jeunesse tchétchène... "La reconstruction de Grozny, rasée comme Stalingrad, est spectaculaire et ne se limite pas au centre-ville. Il faut désormais vraiment chercher pour trouver des façades criblées d'impacts. Les murs recouverts de plaques de tôle colorée pour masquer les plaies alternent avec les immeubles neufs. Sur l'avenue Poutine, une Pizza House voisine avec une Sushi House et une boutique de prêt-à-porter Elite Fashion. Ramzan vient d'inaugurer un nouveau Parlement et un nouveau théâtre. Même un parc de loisirs aquatique est en construction" (Fabrice Nodé-Langlois, "Drôle d'après-guerre en Tchétchénie", Le Figaro, 4 mai 2009). Derrière des images d'une apparente "modernisation" avec l'apparition de cybercafés, le rétablissement de l'électricité, les gens se promenant dans la rue avec un téléphone portable à la main... les défis restent encore nombreux. Se pose encore la question de l'alimentation en eau potable dans de nombreux logements. Le chômage était estimé à 70 % en 2008 (voir Fabrice Nodé-Langlois, "La Tchétchénie peine à soigner ses blessures", Le Figaro, 25 février 2008), et il faut aujourd'hui redonner des emplois, rétablir l'industrie, renforcer le pouvoir d'achat. Le poids économique et social des guerres se lit aussi à travers le nombre important d'orphelins (estimés à 30.000), d'invalides (19.000), de malades (face au manque de soins et à la destruction des infrastructures médicales)...

Derrière le bilan très positif de la reconstruction du bâti, on peut voir un discours : l'immédiat après-guerre est toujours un enjeu humanitaire et social, mais les enjeux politiques ne sont jamais loin ! Pour les acteurs politiques (officiels ou officieux), la reconstruction d'une ville est un moyen d'obtenir le soutien de la population, particulièrement difficile dans les lendemains d'une guerre qui laisse une situation socioéconomique désastreuse. Pour détourner la célèbre phrase du stratège Clausewitz, on pourrait dire que la politique dans l'après-guerre est le prolongement de la guerre par d'autres moyens. Il s'agit pour les "vainqueurs" de gagner et surtout de garder le soutien de la population afin d'asseoir leur pouvoir et la stabilité. Il s'agit pour les "vaincus", ou tout du moins pour les partisans de la reprise des combats, de convaincre la population de l'illégitimité du pouvoir en place, en insistant sur son incapacité à résoudre tous les problèmes du quotidien, qui se font nombreux et pressants. Le soutien de la population n'est pas seulement un enjeu dans la guérilla urbaine (on sait combien il est primordial pour les guérilleros agissant dans les zones urbaines), c'est également un enjeu pour la durabilité de la stabilisation dans l'immédiat après-guerre.



A lire :


mardi 5 mai 2009

La construction identitaire au Kosovo : logiques territoriales et luttes de pouvoir dans la ville de Mitrovica


Voici le power-point présenté lors du colloque international "Identité et espace" à Reims (22-24 novembre 2006), avec une présentation des enjeux identitaires dans la ville de Mitrovica. Le power-point présente les différents aspects de la mise en scène de la différenciation entre les communautés serbe et albanaise dans la ville de Mitrovica : réappropriation de l'histoire, utilisation de "mythes" identitaires, monnaie, économie, noms de lieux... A noter que ce power-point est issu des travaux de maîtrise et de DEA (et des séjours de terrain qu'ils ont nécessité), et date d'avant l'auto-proclamation de l'indépendance par la communauté albanaise. Néanmoins, la ville de Mitrovica était déjà et reste un verrou essentiel, tout particulièrement dans cet enjeu identitaire, entre deux communautés qui s'affrontent non par les armes, mais à travers les symboles, pour rejeter "l'Autre" hors de cette ville-symbole.




Le conflit du Kosovo s'est avéré être une bataille pour la construction identitaire dans un territoire donné. La communauté internationale a affiché clairement son ambition de recréer – ou plutôt de créer – un Kosovo multiethnique, dans la résolution 1244 des Nations Unies. Mais aujourd'hui, un problème essentiel se pose : qui se reconnaît en tant que Kosovar ? Il semble que la construction identitaire dans le territoire du Kosovo se fasse totalement en décalage avec la volonté de la communauté internationale. Entre luttes de pouvoir, conquête de territoire et tentatives d'appropriation identitaires, l'espace est aujourd'hui en crise, dans la mesure où la construction identitaire est une problématique essentielle des difficultés de réconciliation des communautés du Kosovo. L'espace est devenu un objet de lutte idéologique, puisque chacun tente de le marquer par des symboles (notamment à travers la répartition et l'évolution des bâtiments religieux). Un rapport dominant/dominé s'est donc installé entre les diverses populations du Kosovo, dans une logique de hiérarchisation entre les communautés. Les discours politiques sont empreints de nationalisme, de falsification de l'histoire, et de justification de la présence et de la domination sur le sol kosovar. La ville de Mitrovica, du fait de sa position géographique et de la composition de sa population, est le symbole des divisions identitaires et territoriales, qui bloquent aujourd'hui le processus de réconciliation. Se mêlent de nombreux acteurs (les Albanais, les Serbes, les petites minorités du Kosovo, ainsi que les différents représentants de la communauté internationale, tels que l'ONU, l'OTAN, l'OSCE, les médias, les ONG…), qui ont chacun une vision propre et antonymique de l'identité du Kosovar. Mitrovica est-elle aujourd'hui une ville qui se construit, ou plutôt deux villes distinctes qui essaient d'imposer à l'Autre sa vision identitaire, par une hiérarchisation des populations et une appropriation territoriale ?

L'histoire et les mythes ont une part importante dans la construction identitaire des différentes populations de Mitrovica. En effet, les Serbes enracinent le mythe de leur résistance contre l'envahisseur ottoman à travers la bataille de Kosovo Polje en 1389, qui pourtant a vu des mercenaires serbes du côté du sultan, et des Albanais aux côtés des Serbes. De leur côté, les Albanais se disent descendants des Illyriens, et donc estiment que leur identité repose sur une appropriation spatiale du Kosovo antérieure aux autres populations. Par-dessus ces mythes, se superposent de réels faits historiques qui ont profondément changé la répartition des populations dans l'ensemble de la région balkanique. Au cours du XXème siècle, les flux migratoires et les comportements démographiques sont les principaux facteurs de l'évolution du paysage humain dans la ville de Mitrovica, de sorte à séparer de plus en plus les populations.La guerre du Kosovo est, ainsi, l'apogée d'un siècle de tensions entre deux communautés majoritaires qui s'affrontent pour un territoire donnée. L'espace reflète leur volonté d'ancrer leur identité en opposition à "l'Autre". La ville de Mitrovica devient alors un "terrain de jeu" pour les deux communautés. D'une part, les Serbes tentent de s'approprier par une logique de nettoyage ethnique ce territoire. D'autre part, la réponse des Albanais se fait également dans la violence par l'intermédiaire de groupes paramilitaires. La guerre éclate, jusqu'à l'intervention de la communauté internationale, qui s'interpose entre les communautés et devient un nouvel acteur dans le jeu de construction identitaire dans la province du Kosovo.L'identité est aujourd'hui, encore, au cœur des débats, puisqu'elle est un des enjeux les plus complexes des négociations entre l'ONU et les différents acteurs locaux (gouvernements de Belgrade et de Pristina). Mitrovica peut-elle continuer à vivre comme une seule ville ? Il semble que la ségrégation spatiale est telle qu'il existe une Mitrovicë albanaise au sud, et une Kosovska Mitrovica serbe au nord. Pourtant, les Serbes continuent de fuir la province, tandis que les Albanais se réapproprient l'extrême nord de la ville : l'enjeu est à la fois territorial et symbolique. Il appartient donc à la communauté internationale de "trancher" au cœur de cette situation compliquée : un Kosovo albanais, un Kosovo serbe, ou un Kosovo kosovar ? L'identité reste la principale question qui se pose dans ce petit territoire.


"L’odyssée des migrants clandestins : quels dispositifs pour quelle protection ?"


Un Café humanitaire (dans la lignée des Cafés géo) sera organisé le lundi 18 mai 2009 sur la question des migrants clandestins : "L’odyssée des migrants clandestins : quels dispositifs pour quelle protection ?". Le café humanitaire sera animé par Michel Agier (EHESS, professeur d'anthropologie, spécialiste de la question des camps de réfugiés, notamment auteur de Gérer les indésirables. Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire, Flammarion, Paris, novembre 2008), Claire Rodier (juriste au GISTI - Groupe d'information et de soutien des immigrés ; et récemment co-auteur de Immigration : fantasmes et réalités Pour une alternative à la fermeture des frontières, avec Emmanuel Terray, La Découverte, Paris, octobre 2008) et Omeyya Seddik (réalisateur). Le débat se déroulera au Snax Kfé (182 rue Saint-Martin, Paris 3ème, métro Rambuteau) à partir de 21h00.

samedi 2 mai 2009

Les espaces de la mort à Mitrovica


Voici le power-point présenté lors de la 7ème journée de la géographie (organisée par l'Université Bordeaux III et l'Association DocGéo) le 7 avril 2009, dont le thème était "Les espaces de la mort, les morts dans l'espace".





Mitrovica est une ville divisée par la ligne de fractures qui sépare les aires de peuplement majoritairement serbe au Nord du Kosovo et majoritairement albanais au Sud. Cette ville est devenue un géosymbole de la division et de la haine intercommunautaires qui déchire ce pays nouvellement indépendant. Haut-lieu de tensions, la ville de Mitrovica est régulièrement déchirée par de nouvelles violences. Si le pont Ouest est le géosymbole le plus médiatisé, les enjeux liés à l’identité, la mémoire des lieux et la lutte intercommunautaire ne se limitent pas à ce lieu. Les espaces de la mort sont souvent peu analysés dans cette perspective. Pourtant, ils recouvrent plusieurs problématiques tant par leur localisation que leur symbolique.


La guerre du Kosovo a entraîné des violences entre les communautés, particulièrement violentes dans la ville de Mitrovica. Le traitement des corps peut être analysé au regard de l’appartenance communauté et du lieu de la mort. Certains ont pu recevoir une sépulture en fonction du lieu où est intervenu leur décès, tandis que d’autres corps sont devenus de véritables armes dans lesquelles étaient cachées des mines. Dans l’immédiat après-guerre, on peut analyser la possibilité pour les familles d’enterrer ou non leurs proches comme un facteur supplémentaire de tensions entre les communautés. De plus, les lieux destinés à accueillir les morts sont devenus de véritables lieux de mémoire, destinés à montrer à « l’Autre » le poids des tensions encore existantes dans la ville.


Fruits de la longue histoire du peuplement, les autres lieux de la mort, notamment les cimetières, sont l’objet de pratiques spatiales qui vont à l’encontre de l’enfermement communautaire des populations de Mitrovica. Cette ville est divisée par la rivière Ibar, qui marque la limite entre des espaces clos : un quartier majoritairement serbe au Nord, un quartier quasi exclusivement albanais au Sud, et quelques poches de minorités. Traverser le pont, réel symbole de la division des communautés, n’est pas anodin : si le pont semble d’emblée être un lieu de l’échange et du passage par excellence, le pont de Mitrovica est devenu un point de tension, une frontière mentale, qu’il faut traverser pour atteindre les cimetières. Ce passage est devenu un symbole du rejet de « l’Autre ». On peut également analyser le recueil des familles dans les cimetières en termes de sécurité.


Les lieux d’enterrement ne concordent pas avec la répartition actuelle des populations, mais l’on assiste à une réappropriation de l’extrême-Nord de la ville par les Albanais. Les territorialisations de la ville sont donc affectées par des stratégies identitaires qui s’appuient à la fois sur une distanciation volontaire de « l’Autre » et sur la protection de lieux identifiés comme porteurs de l’identité communautaire. Les espaces de la mort prennent alors une autre perspective, dans la mesure où il ne s’agit plus de pouvoir se rendre dans ces lieux de recueillement, mais de les intégrer dans la lutte identitaire qui oppose les Serbes et les Albanais. La sacralisation des cimetières albanais entre dans les logiques d’appropriation de territoires dans la ville par les deux communautés majoritaires. Les lieux de la mort n’ont pas seulement pour fonction d’être le lieu de destination des morts, mais bouleversent les représentations quant à l’identité des territoires urbains. Les cimetières sont des lieux qui font partie des logiques de recomposition territoriale et identitaire de l’après-guerre.